Entête

Prologue :

Ce document est tiré du cahier d'écolier tenu par "Jo" un des 5 matelots de Dixmude
jour par jour, heure par heure du 17 Juin 1940 au 21 Janvier 1941.

C'est "Son journal" qui relate une immense amitié entre 5 hommes - en fait ils seront 6 - dans cette période noire de notre histoire.

C'est un témoignage émouvant et précis où se mêlent le courage et la peur, la résistance et la collaboration, l'espoir et le désespoir… et même la fascination de l'horreur.

Tout d'abord les 5 matelots de Dixmude se portent volontaires pour résister...
- résister à l'avance du général Rommel et refusent de se séparer, même pour se sauver
- leur mission accomplie ils tentent de gagner l'Angleterre. Ils cherchent un port, un bateau... Ils voient Jersey
- mais échouent à l'Hôtel Terminus de Carteret. Ils écoutent le Maréchal le coeur serré

Puis ils sont prisonniers...
- d'abord à Valognes. D'abord dans un parc puis rue de la Poterie. Des bruits... Mers El Kébir... de poulaines...
- puis à la caserne Proteau de Cherbourg. Des bruits... de forteresses volantes. Des bruits... de Poncelet
-Ils et Il pleurent... rencontrent un sorcier Sénégalais,... réveillonnent à Noêl... Il est un héros malgré lui...

Enfin viendra l'heure du terrible dilemme "s'évader ou rester..."

photo couverture, premières pages

Les 5 Matelots de Dixmude sont :
Macquart - Blondeaux - Legras - Menet "les 4 Parigots"
Le Nain "le Bordelais"
qui sera remplacé après son départ par Williams "le Guadeloupéen"

Caserne "Dixmude" de "Querqueville" :
En 1895, la construction d'une caserne sur le site du polygone est décidée. Cette caserne ensuite rebaptisée "caserne Dixmude" est cédée à la Marine en 1920. Querqueville fut l'un des derniers points à résister à l'avance de la 7ème panzerdivision de Rommel

Canots de Dixmude

Dans le cahier le texte est écrit uniquement à l'encre noire et sans aucune mise en page particulière, comme présenté dans le triptyque de haut de page.

Sur ce site, le texte d'origine est strictement littéralement respecté. Il est écrit en noir et en grande largeur, mais j'y ai fait figurer certaines mises en valeur de couleur. J'y ai aussi inclus des photos trouvées sur le Net et des commentaires écrits en petite largeur et de couleur verte.

Enfin pour information, ce site hélas est réalisé par un amateur et s'il est ouvert avec "Explorer" il subit quelques altérations de mise en page, le texte étant quant à lui bien respecté. Aussi je vous conseille de l'ouvrir avec "Mozilla Firefox" avec lequel il est conforme à ce que j'ai voulu réaliser. Je vous remercie pour votre compréhension.

Voici ce texte que je dédie à "Dominique" :

Mardi 17 Juin 1940
Commence
l'Odyssée de 5 matelots de Dixmude

Première ligne du cahier

07.35 - "Querqueville"
En rang dans la cour, on aperçoit sur rade et au large les bâtiments de guerre Anglais et Français prendre le large à toute vapeur suivis de bâtiments de commerce, de barges à moteur, de pêcheurs bondés de réfugiés civils, soldats et marins. Je n'ai jamais vu autant de barques sortir ensemble car il n'y a qu'une passe de libre, celle de "Querqueville". Notre coeur se serre

Rommel dit dans ses carnets de guerre :
Des reconnaissances aériennes avaient signalé la présence à Cherbourg de navires de guerre ou de transports et il était donc très probable qu'il s'y effectuait des embarquements...

Site des carnets de Rommel

08.00
Nous demandons à 12 à partir en corps-francs pour ralentir la marche des ennemis.
Accepté ! On se bourre de munitions, pleines musettes, et juste un rechange, moi un pantalon de treillis bleu, un jersey et un tricot.
11.00
On est toujours dans la cour. On bout d'impatience. Les avions allemands nous survolent et font des piqués (aucun avion anglais ou français). L'aviation de "Dixmude" est partie ainsi que la DCA, soit en matelots, soit en civils, à pieds, en barges, en bicyclettes ou en autos. Une vraie pagaille. Les naufragés et évacués de "Dunkerque", "Calais" ou du "Havre" partent à leur tour, séparément ou en paquet, soit sans bagages ou chargés à bloc.
La débandade. Pénible à voir.
11.15
Le corps-franc doit manger tout de suite. On se met dans la voilerie, quand on nous prend à quatre Macquart, Legras, Menet et moi pour garder la "cambuse". Les autorités ont peur de pillage, car les fuyards réclament des vivres et du vin, surtout du vin. Nous arrivons armés, mais nous n'avons pas eu à intervenir, car à midi et demi on nous relève.

Cambuse : Resserre contenant les vivres d'un équipage

Première ligne du cahier

12.00 Allocution du Maréchal Pétain :

Français! A l'appel de M. le président de la République, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France...
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude.
C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat.
Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la patrie.

12.40
Le cambusier remet les clefs au Commandant, mais nous dit que la porte n'est pas fermée. A tour de rôle on va emplir nos bidons (bidons resquillés) et boire un bon coup. On emporte le plus de vivres possibles, des kilos de chocolat ; Macquart gobe plus de 15 oeufs, crèmes de gruyère... bref sur deux musettes de chargeurs on en vide une pour y mettre des vivres.
13.00
On coupe le réseau téléphonique, nous voici isolés.
On voit le bombardement et explosions de l'arsenal (nous en sommes à 5 ou 6 Km). Tout brûle et fume, les avions allemands passent sur nos têtes, tirent des coups de mitrailleuses.
13.30
Nous restons à 17 de "Dixmude", plus 3 seconds maîtres, 2 maîtres, 1 lieutenant, 3 commandants. On leur demande ce qu'il faut faire. Réponse évasive...
"On attend un message téléphonique, ironie".
Les fils sont coupés leur répond-on. Et bien si des chenillettes arrivent, tirez à coup de mousquetons ; si vous voyez des tanks et bien "sauve qui peut".
Mais pour aller où ? Les Allemands devant et derrière la mer et plus une seule embarcation, plus rien, la rade est vide ; Non deux bâtiments, un qui coule sur une mine magnétique et l'autre en feu. ET nous nous restons comme des imbéciles. De temps à autre, des autos reviennent prendre un autre chemin et au passage nous disent "impossible de passer" des bruits contradictoires. En fin de compte où sont-ils ?
On demande 4 volontaires pour tenir la dernière mitrailleuse existant sur le terrain d'aviation... pour empêcher les avions allemands d'atterrir.
16.00
Nous partons à 4 : 1 second maître, Macquart, Legras et moi.Nous emportons à tout hasard notre valise, nos sacs. Nous les cachons sur un portique du réfectoire "Adieu nos sacs", au revoir aux copains et nous allons après trois quarts d'heure de marche dans l'herbe jusqu'au ventre et tenant notre mousqueton, les trois cartouchières à bloc plus la musette de munitions, l'autre de vivres, des boules de pain transpercées par une ficelle et attachées à la ceinture, le bidon de pinard, la valise. Nous arrivons en sueur et éreintés vu le fonctionnement.
17.00
Un avion, un "Potez 56" atterrit, le dernier, on lui fait des signaux pour prendre un matelot blessé.

On nous offre 1 place dans l'avion pour aller à "Saint Brieuc".
"Nous les 5 matelots de Dixmude" refusons. On ne veut pas se quitter.

Première ligne du cahier

Voici probablement la photo de 4 des 5 matelots de Dixmude.

Seul "Jo" auteur de ce texte - le deuxième en partant de la gauche - est identifié


L'avion décolle. Le commandant Leroux chef de l'aviation est juste près de nous et nous laisse carte blanche... mais il faut tenir encore une heure. Nous détruisons 4 avions Potez au sol !

Avion Potez

Rien n'a été fait sur-le-champ contre l'invasion, toujours trahison !
Plusieurs avions viennent sur le fort de "Querqueville" situé à 2 klm de nous, nous tirons dessus mais toujours trop haut, notre mitrailleuse porte à 1500 et tire 1300 coups à la minute.
19.00
Menet et Lenain viennent nous rejoindre, nous en sommes heureux. Ils nous racontent que les autres de "Dixmude" s'en vont en débandade. Quelle misère, personne de propre pour nous commander.
20.00
Le Sous-maître et Macquart retournent à "Dixmude" chercher des vivres et reviennent avec du lard et du jambon et du vin.
21.00
On mange chez la femme du Sous-maître.
21.30
A 200 mètres de là, des avions allemands au nombre de 17 jettent des chapelets de bombes sur le fort en face de nous. Un de nous va en courant à la mitrailleuse, hélas les salauds sont trop hauts et leurs piqués sont foudroyants. Où sont "les avions "invincibles" de "Pierre Cot" ?
22.00
Deux de nous vont aux renseignements à "Querqueville". Pendant ce temps on fait des abris pour quelques habitants du coin. La vue en direction de "Cherbourg" est terrifiante, on dirait que tout brûle et saute. Est-ce la ville ou l'arsenal ? De grandes et immenses lueurs illuminent le ciel. Les avions passent et repassent. Sont-ils amis ou ennemis ?
23.00
Conseil avec les camarades, la position devient intenable, surtout que le commandant Leroux nous dit qu'a minuit les grands hangars à avions et les dépôts d'essence et de bombes doivent sauter. Le tout est à 300 mètres de notre poste.
Nous jugeons avoir rempli notre mission puisqu'on a tenu plusieurs heures en plus.
Maintenant les deux camarades partis en reconnaissance reviennent et nous disent que les allemands sont à quelque distance de nous, que toutes communications sont coupées. Nous pensons être les derniers marins à découvert dans "Querqueville". Un point pour "le fort Central", il résiste et tire, nous estimons qu'il doit faire un bon travail, le ciel est rouge de la réverbération des flammes. Triste spectacle, vision inoubliable de désastre. "C'est pire que le feu d'artifice de Versailles" car c'est d'après nous sur des kilomètres de long.
23.30
Nous détruisons la mitrailleuse et la jetons à la mer avec nos mousquetons et de nombreuses balles. On pleure de rage. Si nous avions des chefs on aurait tenu, mais hélas !
Les forts tirent dans notre direction Il n'y a plus à hésiter... Il faut fuir comme des lapins. Pauvre France ! Ah les salauds...

Tirs depuis les forts

23.45
Le sous-maître garde nos valises, il est à côté de sa femme, il reste Lenain qui hésite, nous quatre sommes résolus à tenter l'aventure coûte que coûte.
23.55
Nous démarrons

18 Juin 1940 : Gagner l'Angleterre...

Première ligne du cahier

Appel du 18 juin 1940 :
La "drôle de guerre" s'est achevée et le maréchal Pétain a demandé l'armistice. A Londres, le général de Gaulle refuse la capitulation, il appelle à résister..."Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force de l'ennemi...
Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !...
Car la France n'est pas seule !...
Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et...
ne s'éteindra pas."

Site du général de Gaulle

00.00
Obligés de quitter la plage au bout de 5 minutes, trop à découvert. Partis les clos et les champs. Nous sautons des murs et des haies et gagnons la route qui va vers "La Hague" à marche forcée.
01.00 - "Urville"
Nous passons "Urville" et rencontrons 5 matelots qui d'après eux ne peuvent passer et rentrent à "Cherbourg". Nous continuerons, un d'eux se joint à nous, on l'accepte. Nous faisons 200 mètres et prenons la plage. Puis les galets deviennent roches, puis rochers, impossible de prendre le chemin des douaniers à cause du clair de lune. Ce n'est que sauts, glissades sur le goémon et chutes. Nous abandonnons nos couverts et nos casques qui faisaient trop de bruit sur les rochers. Nous respirons 5 minutes et nous repartons les mains et les jambes en sang par les pierres que nous heurtons. Que de chutes, mais pas de mal sauf des morceaux de viande laissés par-ci, par là. Macquart est un bel entraîneur, grand, fort, il allonge les jambes, grimpe, descend on dirait un chamois. Nous le suivons mais que de mal chargés comme nous sommes, j'ai une couverture en plus. Chaque pointe en mer nous voyons "Cherbourg" de plus en plus en flammes et le canon tonne dur, ou alors des explosions, ou peut-être les deux. On redouble de vitesse, on se trouve en sueur et les pieds souvent remplis d'eau.
Mais on a un espoir : échapper. Mais où sont-ils ?
03.00 - "chemin des douaniers"
Un peu "d'ombre". On trouve le "chemin des douaniers", et nous marchons dans les fougères hautes de un mètre, chemin assez facile, on active le plus possible. Menet a une valise remplie de vivres mais ses attaches cassent et il faut la porter à tour de rôle sous le bras. Quelle nuit.
04.00 - "le Mur blanc"
Le jour s'estompe avec le clair de lune. Il faut se chercher un abri pour se cacher, nous cherchons une grotte sur des rochers. On fait son choix après le lieu dénommé "le mur blanc". Il est 04.30.
05.00
Je me réveille ainsi que Macquart transis de froid. Nous restons bien 10 minutes avant de pouvoir parler, on claquait des dents. Nous avions une couverture pour 5, les trois autres dorment, on les couvre comme on peut.
05.20 - "Fleury"
Nous partons tous les deux avec Macquart en estafette voir ce qu'il se passe. Nous montons une colline et nous entrons dans des clos, on saute les haies, les murs, on ne voit rien, on entend rien. Après 30 minutes de cette marche nous apercevons quelques maisons, alors avec des ruses de sioux nous contournons une maison par le verger. On voit une bonne vieille grand-mère. Mais comment lui faire signe sans attirer l'attention ? Nous ne savons pas si les allemands y sont. Bref la grand mère nous voit, nous approchons, il n'y a pas encore d'ennemis. On rentre chez elle, on y trouve un monsieur et une dame. On leur demande d'acheter du pain et du cidre. Le village s'appelle "Fleury", aucun commerçant, on ne peut rien acheter. Ces braves gens nous donnent du pain et deux litres de cidre et ne veulent à aucun prix être payés, mais demandent qu'on leur rapporte leurs bouteilles. On donne au monsieur des cigarettes anglaises. Nous revenons à notre point de départ mais le retour est facile car on trouve un sentier.
07.00
Retour au campement, les camarades changent de place ou cassent la croûte quand on aperçoit des gros groupes d'avions qui se dirigent vers "Cherbourg" ( facile à repérer grâce à ces immenses colonnes de fumée ) Est-ce des amis ou des ennemis ? On voit alors les dits avions faire des piqués et des fortes détonations nous parviennent. Quel contraste de voir et entendre la destruction de la civilisation quand tout autour de nous est la nature, la terre très sauvage, la mer d'une pureté parfaite et d'un calme ! Ah ! Guerre ?
07.30
On se couche au soleil, cela repose, on sommeille seulement car on craint toujours une surprise. On met sécher nos tricots qui étaient tout mouillés de sueur et que nous avions heureusement retirés avant notre premier somme. On voit des marins en débandade passer, mais on ne tient pas à se mêler à eux.
11.00
On mange car nous avons décidé de nous mettre en route à midi, car qui sait, on peut peut-être passer à travers le filet des ennemis. Ah ! Si seulement nous avions une embarcation ! Hélas rien en vue, ni le long des côtes ni au large.
12.00
Départ. Nous remontons à "Fleury" et au moment de déboucher devant la maison, l'instinct nous fait prévoir le danger. Nous rentrons dans le verger et nous avançons en tapinois. Nous voyons sur la petite place du pays, ou plus à proprement parler à un croisement de route, nos personnes de connaissance avec quelques voisines. Nous toussons pour attirer l'attention, quand d'un geste de la main on nous fait signe de partir.
Nous nous sauvons au fond du verger et nous attendons. Il ne faut pas faire de bruit, quand la valise de Menet se défait et tout son contenu tombe à terre dans un bruit infernal. Nos coeurs battent la générale, mais pas de bruit suspect.
La dame vient près de nous 5 minutes après, blanche comme une morte et nous dit que deux chenillettes allemandes étaient sur cette place. Elle tremblait pour nous, nous la rassurons. Sitôt les allemands se sont éloignés, nous demandons notre direction car nous n'avons ni carte ni boussoles. Nous filons direction Sud. Nous rentrons dans les clos et chaque vingt-cinq à trente mètres il nous faut sauter des haies et des murs. Drôle de sport surtout en plein soleil et avec une bonne charge. Les musettes nous compriment la poitrine et nous serrent les épaules, les ronces et les orties nous arrachent les jambes, les branches d'arbres, elles s'occupent de la figure et toujours courant ou pliés en deux dans les endroits découverts. Nous coupons des routes, traversons des chasses, marche très pénible. L'espoir de notre liberté nous soutient !
16.00
Evitons les villages et la grande route de "Beaumont", nous voyons des colonnes de marins suivre les routes pour se rendre, d'après les autorités allemandes prisonniers dans les centres.
17.00 - "Gréville" - "Biville"
Arrive premières maisons de "Gréville" où nous demandons du cidre. Bien reçus par les hommes, mais les femmes acariâtres. Nous donnons à des enfants 1 livre de chocolat en paiement. On nous conseille de marcher toujours plein sud. Nous passons dans des landes immenses remplies de genêts qui ma foi nous arrangent les jambes d'une drôle de façon. Chaleur intense, soleil de plomb. Nous remplissons les bidons dans un petit ruisseau, nous montons des buttes, descendons dans des ravins. On fait souvent 500 mètres pour éviter une maison isolée. Nous coupons une nationale pour se rendre à "Biville", route remplie d'artilleries ennemies motorisées. Nous arrivons au petit village où de braves gens nous font passer dans des chasses pour éviter le terrain à découvert. Un jeune homme de 15 ans nous sert de guide et nous fait gagner du temps. Le jeune homme nous quitte et nous reprenons la route, champs, haies, murs, nous tombons dans des clos remplis de vaches, d'autres où il y a des taureaux qui nous courent après (pas drôle) enfin d'autres remplis de moustiques car le terrain est très marécageux.
18.00 - "Vasteville"
Nous contournons "Biville", passons "Vasteville" pour éviter la rivière et prendre la direction de la mer.
19.00 - "Siouville" - "Dielette"
Dans une ferme aux environs de "Vasteville" nous prenons du cidre et donnons 5 francs aux enfants. Menet a enfin un sac pour mettre ses affaires et le mets à la mode des chemineaux. Nous passons "Siouville". Là changement de décor, ce n'est que dunes de sable, sans végétation. Le vrai désert. Nous trouvons un sentier qui facilite notre marche. Nous trouvons sur notre route une ancienne caserne de soldats. Est-ce des amis ou des ennemis, on se risque. "Ce sont des français qui sont prisonniers sur parole". On a quelques renseignements notamment d'abandonner les dunes et la mer car un cap est occupé donc nous arrivons à "Dielette"

Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre 1907 :
Les prisonniers de guerre peuvent être mis en liberté sur parole, si les lois de leur pays les y autorisent...
Un prisonnier de guerre ne peut être contraint d'accepter sa liberté sur parole...
Tout prisonnier de guerre, libéré sur parole et repris portant les armes contre le Gouvernement envers lequel il s'était engagé d'honneur, ou contre les alliés de celui-ci, perd le droit au traitement des prisonniers de guerre et peut être traduit devant les tribunaux.

22.00 - "Tréauville"
On ne s'arrête pas quoi que très fatigués. Nous achetons par veine un pain de six livres et là une dame avec deux enfants nous dit qu'elle connaît une grange pour nous coucher à 200 mètres de là. On accepte avec joie, nous montons une grande route et nous accélérons. Legras pousse la voiture d'enfants et les 200 mètres se terminent par au moins 4 kilomètres. On arrive à avoir des soupçons et on craint de se faire prendre étant sur une grande route. Le pays est rempli d'ennemis.
La dame nous avoue avoir eu peur seule avec ses enfants sur la route et qu'elle avait pensé se faire accompagner par nous.
Enfin nous arrivons à "Tréauville".
22.45
Présentation à une brave fermière et notre dame s'en va. Nous buvons au moins 2 à 3 litres de lait chacun, on mange un morceau et on monte dans un grenier se coucher, mais quelle histoire. Nous étions tellement las qu'il nous était presque impossible de monter l'échelle du grenier. Enfin nous y voici, il fait noir, on allume et masque nos lampes électriques. Nous avons du foin mais malheureusement il est bottelé. On en défait quelques bottes et nous nous couchons. Une heure après on avait les reins en compote, car ce n'était pas un lit mais des montagnes russes. Legras en plus de cela ne restait pas en place, ses pieds, tantôt ses fesses nous tombent sur la figure (pour moi il rêvait des murs et des haies)

19 Juin 1940

06.00
Nous étions gelés, quelle froidure ici le matin. Nous restons couchés jusqu'à 8.00.
08.00
Nous buvons un café et un oeuf; je demande des habits civils. Notre brave fermière nous en apporte de son défunt mari, linge très propre, mais hélas passé de mode. Cela devait en fait dater de chemise dater de 1900. Nous refusons car nous avons craint de lui faire des ennuis car soi-disant des ordres formels interdisent aux villageois de donner du linge aux militaires.
10.00
Nous repartons c'est dur à démarrer, car les nerfs sont tendus et le gras des cuisses fait rudement mal et pour comble nous devons pendant un quart d'heure suivre une route. Quelle vitesse Macquart nous fait aller.
10.14
On remet ça dans les clos, c'est beaucoup plus difficile mais là nous sommes en sécurité relative. Toujours haies, murs, barrières à franchir et au trot par temps lourd.
11.00 - le parc de "Flamanville" - Sémaphore Cap Flamanville - "Les Pieux"
Nous nous trouvons dans un parc, on explore et on aperçoit devant le château plusieurs autos allemandes. Nous le contournons, une route est franchie entre deux passages de voitures en un temps record (plus vite que Ladoumègue).
Nous sortons du parc (toujours des murs à sauter) et un paysan nous dit que c'est le parc de "Flamanville" qui est l'état major des allemands (nous avons eu chaud). Nous nous dirigeons sur la mer pour éviter "Les Pieux" grand centre de groupement de prisonniers glanés sur les routes, dans les habitations...

Première ligne du cahier

11.30
Passe Faubourg (peut-on dire) de "Flamanville" prenant eau et gagnons la mer.
12.00
Visitons en passant le Sémaphore Cap Flamanville, Naturellement abandonné, juste un chat, appareils détruits, tout est cassé. Descendons par le chemin des douaniers, rencontre 5 matelots qui comme nous sont à la dérive, ils se plaignent du manque d'eau, ils ont des vivres mais pas de boisson. Nous par fraternité nous leur remettons un de nos trois bidons pleins naturellement, mais on ne s'arrête pas.
Ah en passant une jolie phrase de Macquart, "on ne s'arrête pas nous venons de déjeuner !" Et bien oui, depuis 4 heures de marche, l'œuf et le café étaient loin, nous avions compris il ne voulait pas provoquer la liaison entre nous.
Quel coup d'œil magnifique, féerique, décors merveilleux ces rochers, cette verdure, ces précipices, la mer il faudrait des heures pour fatiguer la vue d'une beauté pareille. Hélas, il faut nous arracher à ce spectacle et marcher... marcher...! Chemin assez facile, mais il ne faut pas avoir le vertige car les passages sont rudement étroits et glissants. Mais que c'est beau, on aperçoit une terre au loin, elle se confond avec l'horizon.
Passage inoubliable Qu'il ferait bon vivre ici une saison !
14.00 - "Sciotot"
Arrive à "Sciotot " une Dame d' "Aulnay" nous offre du café et nous donne du cidre, voudrait nous faire à manger, nous refusons. Après 10 minutes de halte, nous allions sortir de chez elle, quand à 15 mètres de nous 2 Allemands, nous sortons par-derrière et attendons leur départ. Aussitôt nous prenons la fuite sur la plage pour aller plus vite nous nous déchaussons, marche accélérée, plage estimée à 3 km.
14.20
Vois 4 baigneurs et des voitures allemandes. Passons entre les deux.
15.00 - "Pointe de Rozel"
Plage terminée, maintenant, rochers à sauter "Pointe de Rozel"
16.00
Vois toute petite plage dans rochers, décidons de se baigner. Revenons du bain, nous nous mettons à sécher quand un avion allemand nous survole à pas 25 mètres de hauteur, très bien vu les 2 aviateurs, on se couche à plat ventre pensant être mitraillés. Non l l'avion passe. On a eu chaud, nous repartons le plus vite possible, car pensons être repérés.
16.50
Deuxième plage en vue, estimée à 6 à 7 Klm. Début de plage facile, marche rapide toujours pieds nus. Le soleil nous grille toute la face et le côté droit.
18.00 - le phare de "Carteret"
On croyait la plage terminée, non ! Un grand coude et cela continue. On décide de souper, nous n'avons rien pris depuis le matin, que boire et encore, singe et très peu de liquide. Le cidre et l'eau mélangés dans le bidon nous donnent de la boisson couleur vert de gris, on la boit quand même. Le sable est sur nos aliments, cela n'est pas très bon. Nous repartons estimé 2 Klm avant le phare de "Carteret "
18.30
Départ assez pénible, jambes raides, pieds sensibles, premier kilomètre vite abattu, l'autre il nous a fallu plus d'une heure. Sable mouvant, on enfonçait plus haut que les chevilles, les pieds étaient comme rivés au sol et plus une goutte d'eau et le souci de la route nous donnait la fièvre. On marchait presque en deux, c'était l'heure tragique inexplicable. Tout y était.
19.45
Enfin on sort du désert de sable au pied du phare. Des baigneurs nous indiquent une pompe à eau. Elle était à peu près à 100 mètres, on ne pouvait plus avancer, la soif nous donnait guère de jambes, le courage y était ! Pourtant quel délice de boire cette eau saumâtre combien en avons bu de quart ? Je ne pourrais le dire. On remplit les bidons et nous repartons, mais que de mal pour redémarrer ? Surtout que cela monte et que nous rencontrons des vipères mais bof ! Ce n'est rien.
20.40 - "Carteret"
Voici les premières maisons de "Carteret" les civils nous disent de nous cacher, on rentre dans les taillis et on les prie d'aller nous acheter du vin et du pain. C'est ce qu'ils font, ils nous apportent 2 litres de vin, du pain du chocolat et ne veulent absolument pas être payés ! Braves gens ! Cela fait plaisir, nous cassons la croûte, buvons un litre à nous 5 et attendons la nuit.
Projet, gagner " Jersey ". La pleine mer n'est qu'à minuit.
Macquart et le bordelais trouvent une veste civile et partent en reconnaissance, les 3 autres on se repose mais difficilement car le terrain a une forte pente et si une main ne tient pas une branche d'arbre, cela serait la glissade et chute sur la route.
22.00 - "Les Ecréhou" - "Corey à Jersey"
Les copains reviennent déçus car le port ne contient que 2 barques et il faudrait avoir des avirons car les barques sont vides. On leur a dit : "Attention la sortie du port est gardée par des mitrailleuses, le port est très dangereux pour celui qui ne connaît pas la passe, ensuite le courant est violent et pourrait vous échouer sur les îles "Les Ecréhou" et l'entrée du port "Corey à Jersey" est encore plus difficile que "Carteret" sans moteur et sans voiles c'est presque impossible surtout qu'avec le clair de lune vous seriez vite repérés". On décide de passer la nuit dans une baraque de bain.
23.00
On se couche après avoir fumé une cigarette tout en regardant vers le large où nous attend la Liberté, moment très pathétique, les larmes de rage nous mouillent les paupières.
Notre France si belle, dans de telles mains !

20 Juin 1940 : Hôtel Restaurant "le Terminus" à Carteret

03.00
Nuit épouvantable, remplie d'araignées, noyés de sable qui s'infiltre partout, même dans la bouche, et pour notre malheur un froid terrible, on claque des dents, on se serre les 5 ensemble, mais une couverture ce n'est pas large et le sol est dur, une musette de boîte de singe comme oreiller.
06.00
Réveil, nous reprenons notre marche et revenons dans "Carteret", passons sur des dunes de sable, mais marche facile il y a des caillebotis qui forment un chemin, car nouvelle plage après le phare qui est construit sur un rocher dont le pied se baigne à la marée haute.
07.00
Nous arrivons au restaurant "Le Terminus", nom symbolique. Sera-t-il vraiment notre terminus ? L'avenir nous le dira.

Première ligne du cahier

Monsieur Barros, historien de la région dit :
Il s'agit de l'actuel "Hôtel Restaurant de la plage et du Cap".
Créé sous la dénomination "Pension et Restaurant Terminus", au début des années vingt par M. et Mme Ghislain.
L'hôtelière qui a hébergé M. Blondeaux père est :
Mme veuve Ghislain.

Nous rentrons dans la grande salle et prenons un bon café avec calvados. Hôtesse charmante qui nous conseille de nous cacher pendant quelques jours pour voir et comprendre les événements. Elle nous propose un petit cagibi par-derrière le jardin, sorte de remise à engins de pêche pour le jour, et des chambres pour la nuit. Nous acceptons avec reconnaissance car nous sommes exténués. Nous entendons des bruits formidables comme celui-ci, l'Amérique et l'URSS entrent en guerre, ennemis prêts à quitter le Cotentin, nous ne parvenons pas à comprendre.
Bref nous allons mettre nos bagages dans notre nouveau domicile situé à quelques mètres de la route, à notre droite un fort coteau inaccessible, donc aucune crainte de ce côté, à gauche la maison de l'hôtel et devant nous la route cachée par quelques fusains. Aussitôt toilette, un réservoir d'eau de pluie des toits est à nos côtés et nous nous installons. Inventaire de nos bagages, Macquart sort ses paquets de tabac Legras et moi nos cigarettes anglaises, Menet nous montre son restant de vivres, et le Bordelais notre compagnon sa blague à tabac vide.
13.00
On veut souhaiter notre hospitalisation, on prend le Pernod, cela nous remonte de suite, on apprend à l'instant que les ennemis ne sont pas contents ! ? Ils doivent se diriger sur "Brest" et "Bordeaux" même que "Rennes" serait occupé par eux. Tout se mêle dans nos têtes, on ne peut malgré notre bonne volonté comprendre ce que font nos armées, que font nos soldats, les descendants des fameux poilus de 14 - 18.
Trahisons choses incroyables. Ah si seulement nous avions des armes !!!
14.00
On déjeune, que cela nous semble bon et doux d'avoir un abri. Pas de courant électrique, donc pas de TSF. Toujours des bruits, "Bordeaux" bombardée, en revanche "Berlin" est incendiée par les Russes.
16.00
Nous nous risquons Legras Macquart et moi de voir ce qui se passe, nous sortons par les haies du jardin et nous montons sur le coteau. La vue est splendide ! On voit l'Ile de "Jersey" au large, devant nous on voit la pointe de "Port Bail", un peu à gauche "Saint Georges de la Rivière" et entièrement à gauche, la ville très étendue de "Barneville" et comme nous sommes presque à marée basse on voit une immense étendue de sable coupée de petites roches, décor superbe, mais revers de la médaille nous y sommes restés beaucoup plus longtemps que nous le devions car deux tanks nous attendaient en bas. Donc attente de plus deux heures.
19.00
On veut faire quelques parties de belote. Hélas l'entrain n'y est pas, car à chaque instant des tanks ou chenillettes passent ou s'arrêtent devant nous.
20.00
On soupe. On nous dit qu'un allemand vient de dire dans la salle de l'hôtel "guerre finie avec la France depuis 17.00". Que croire ?
22.00
Nous montons nous coucher. Menet et Legras dans un lit, Bordeaux à côté dans un autre, et dans la chambre à côté, Macquart et moi. Belles pièces au premier, les fenêtres donnent sur le port et la mer. Que cela va nous sembler bon, vous pensez un lit, des draps inconnus depuis près de 3 mois.

21 Juin 1940

07.00
Le soleil nous réveille en même temps que le bruit des tanks. Nous allons descendre déjeuner et avoir si possible confirmation de nos informations d'hier.
10.00
Le Bordelais va en civil en exploration. Il voit le Maire qui lui dit que les plénipotentiaires sont en conseil et que très probablement il y aurait du nouveau dans la soirée. Nous pendant ce temps là nous nous rendons utiles, nous coupons du bois pour ces braves gens.
13.30
On vient de redonner le courant, nous écoutons la TSF mais pas plus avancés qu'avant. Nous avons l'heure Allemande c'est à dire + 2 heures d'après le soleil.
14.00
Le Bordelais ne tient plus en place, il retourne aux informations. Macquart et Legras vont partir sur la plage pour chercher des coquillages. Monet lit un bouquin et moi je coupe les cheveux à quelques personnes de l'hôtel.
16.00
Emotion, on va à l'appareil de TSF, on tient Montpellier, on espère enfin avoir des nouvelles de France, mais juste au moment voulu le courant est coupé. Désillusion profonde, on va attendre 18.45 pour écouter "Londres".
18.00
Retour des copains de la pêche qui a été bonne, cela va nous améliorer l'ordinaire, quoique nous sommes très gâtés par les personnes de l'hôtel. Retour aussi du Bordelais, rien de nouveau. Il pleut que va-t-on faire ? Belote, rebelote, pas de courant.
22.00
Au lit. Décidément, on ne peut plus partir, toutes les communications sont coupées et la France envahie. Aller où ? Problème.

22 Juin 1940

Première ligne du cahier

Fôret de Rethondes :On ressortit le wagon du général Foch qui servit à la signature de l'Armistice de 1918, et on y fit signer les Français.
Article premier :Le gouvernement français ordonne la cessation des hostilités contre le Reich allemand, sur le territoire français, comme sur ses possessions coloniales, protectorats et territoires sous mandat et sur les mers. Il ordonne que les troupes françaises déjà encerclées par les troupes allemandes déposent immédiatement les armes.

09.00
Toujours rien de nouveau, on nous dit et on l'aperçoit, les Allemands qui installent des mitrailleuses et des canons à quelques mètres de nous. Donc il faut se fier à aucun raconteur. Malgré tout on fera notre possible pour leur échapper et fuir si possible. Mais quelle vie, nous n'avons pas de nouvelles des nôtres. Le moral malgré tout cela est bon, notre ami Menet s'en charge et d'ailleurs nous sommes 4 Parisiens et le Bordelais nous fait rire avec ses expressions de langage. Il pleut depuis hier, le ciel est couvert et il ne fait pas chaud... donc belote ?
14.00
Le beau temps est presque revenu, on va les 5 se risquer à aller chercher des crabes. Ah ! Que cela semble bon de pouvoir s'ébattre sur les rochers, respirer l'air pur du large et l'iode du goémon. La cueillette est bonne : crabes, berniques, crevettes, bigorneaux. Retour avec prudence, tout s'est bien passé.
19.30
Avec quel serrement de coeur enfin nous entendons le discours du Maréchal Pétain. Pauvre homme, pauvre France, les larmes nous coulent des yeux. Impossible de cacher notre détresse et l'indignation pour certains chefs d'états et chefs militaires. Avoir été trahis de la sorte, incroyable !
22.00
Quelle triste vie va nous être réservée. Oh les salauds ! On entend un communiqué en Anglais on ne comprend plus, notre tête est toute retournée. On voudrait avoir des renseignements complémentaires. Jusqu'à une heure avancée de la nuit nous reparlons de tout cela.

23 Juin 1940

08.00
Mauvaises nouvelles, on tambourine parait-il que tous les marins et soldats doivent rallier immédiatement la Place Napoléon à Cherbourg. Mais si cela est ainsi, on ne veut pas tomber entre leurs mains avant la signature de l'armistice. On aimerait mieux prendre le maquis une deuxième fois. Pour l'instant restons cachés.
09.00
Un grand souci était, savoir le prix de notre pension, savoir où on en était. On nous apporte notre note, nous avons le sourire car pour les 3 repas plus les casse-croûte à 10.00 et à 16.00, plus le coucher on nous prend que 16Fr par jour et par personne. Donc tout compte fait nous pensons tenir encore quelques jours. C'est vraiment à notre avis pas cher, cela prouve qu'il y a encore de braves gens sur la terre de France (on se comprend)

Information selon l'INSEE :
1 kilo de pain 1940 valait 3 francs 10.
Donc le prix de la pension par jour et par personne est équivaut au prix de 5 kl de pain 1940.
Le prix de la pension équivaudrait aussi à 5 Euros 28.

10.00
Nous lavons notre linge, mais pas très commode, il faut prendre des pierres pour pouvoir le frotter, et pour sécher autre affaire, il ne faut pas que l'on puisse le voir de la route. On est marins, on sait se débrouiller, tout va bien.
12.30
Courant coupé, nous sommes nerveux pas d'information.
14.00
On scie, on coupe du bois, moi je coupe des cheveux. On veut se rendre utiles et nous passer le temps.
21.30
La TSF nous apprend que la signature de l'armistice demain. Nous jugerons si nous devons aller à "Paris" ou "Cherbourg".

24 Juin 1940

08.00
La TSF nous dit qu'il faudra attendre que l'armistice soit signé avec l'Italie plus 6 heures pour que le premier soit viable.
14.00
Découragés on décide pour chasser l'ennui de retourner à la pêche aux crabes. Nous parlons avec les pêcheurs d'ici qui nous disent "vous avez bien fait de ne pas partir pour "Jersey" car elle est bombardée et en plus jamais avec des avirons vous n'auriez pu y aller, la distance n'est pas longue, mais le courant est contraire, les rochers entre deux eaux et les bancs de sable etc...
Malgré tout au fond de notre cœur nous regrettons sincèrement de ne pas avoir tenté l'aventure avec la Liberté comme prix.

25 Juin 1940

08.00
A l'annonce de la TSF, tout est fini. Journée de deuil. Ah quelle vie ! Mais la phrase d'un certain "Monsieur" nous revient à l'esprit "Nous vaincrons parce que nous sommes forts". Même discours que les avions de "Cot" Ah les lâches, les vendus !!!
09.20
Quatre Allemands prennent des consommations à côté de nous. Macquart y va, accueil chaleureux de leur part, lui offrent Champagne et lui disent Français bons "goutte" soldats, mais mauvais chefs. Comme ils ont raison.
12.00
Nous allons dire au revoir à la mer et nous prenons un bon bain, le temps est beau.
13.00
Puisque tout est fini, on va faire des folies, on prend un Pernod.
15.00
Librement par la route, nous allons les 5 à la mairie, on voit monsieur le Maire qui nous conseille de nous rendre à notre dépôt et… D'après lui, la démobilisation doit se faire aussitôt.
On lui demande de prendre nos noms au cas ou l'on nous demande des preuves de notre randonnée à "Carteret". Mais il lui est impossible de nous donner un sauf conduit pour Paris.
17.00
On dit que les soldats et marins doivent être dans leurs dépôts respectifs aujourd'hui même à 18.00 Pour nous cela est impossible surtout rallier Cherbourg.
19.00
Conseil avec les camarades, c'est fait, le sort est jeté. On décide de rallier "Cherbourg" demain. Va-t-on à la recherche de complications ou à la Liberté ? L'avenir nous le dira.

26 Juin 1940 : Prisonniers à Valognes

06.00
Réveil, chocolat, Adieu et remerciements à notre hôtesse.
06.45 - "Bricquebec" - "Octeville" - "Cherbourg"
Départ en autocar pour "Cherbourg", nous passons par "Bricquebec", "Octeville" et arrivons à "Cherbourg" place d'Yvette. Que d'Allemands sur les routes, que de voitures incendiées et retournées sur les bas-côtés des routes, mais pas trop de dégâts. Quelques barricades restent encore. En ville beaucoup d'Allemands, mais pas un seul nous parle.
Renseignements pris on doit se présenter à la Préfecture Maritime. On doit y être libérés le jour même ou le lendemain...
11.00
A la Préfecture le drapeau a changé de couleur. Très pénible à voir et à passer dessous.
On rentre dans la cour, personne ne s'occupe de nous, nous sommes bien 150 hommes. On veut ressortir pour aller manger, mais impossible...Nous sommes prisonniers !...
On mange nos réserves, on resquille du vin (système marine). Il fait beau temps, mais que de courants d'air !
14.00
Pas de déjeuner officiel, ça débute bien, ça va ?
Nous partons à pied à la gare maritime où doit se faire le recensement... escortés naturellement.
15.00 - "entrée de Valognes"
Pas de cela du tout, on nous embarque sur des camions et en route, nous prenons la route de "Valognes". A 1 klm de cette ville, on nous fait descendre dans les champs d'un château et là, nous apercevons de nombreux camarades arrivés dans la nuit, à pied depuis "Cherbourg", soit 24 heures, nous avons eu de la veine d'avoir eu des camions.
17.00
On y retrouve des camarades notamment notre Sous-Maître du terrain d'aviation de "Dixmude" et un téléphoniste. Nous avons toujours espoir de la liberté ! On parle de "Saint Lô". Où nous sommes c'est un champ immense avec de nombreux pommiers, sur un côté une voie ferrée et un petit pont où est installée et braquée sur nous une mitrailleuse, de l'autre une route et un grand mur, le troisième côté des maisons et des remises et le quatrième un petit ruisseau où des camarades pêchent. Et dans le fond, le parc du château.

Il sagirait d'un domaine appelé "La Fantaisie" et le château serait "Le manoir du Haut Gallion"
proches du "Château de Servigny".Aujourd'hui ce domaine et ce manoir sont inclus dans la Ville de Valognes qui ayant subi de nombreux dégâts pendant la guerre a été en partie reconstruite et s'est étendue.

20.00
On nous appelle pour la soupe, un bout de pain et un morceau de graisse infecte. Heureux que je trouve moyen par-dessus le mur de parler à des civils et je leur fais rapporter du cidre, du vin, du fromage camenbert.
20.50
Nous avons encore des conserves de "Dixmude" heureusement.
21.00
On installe pour nous 5 une cabane rustique. C'est à dire une table et des bouts de bois sur trois côtés de façon de nous mettre à l'abri en cas de pluie. Hélas à 5 dessous nous y avons juste la moitié du corps de caché.
22.00
On se couche, nous avons sur nos pieds peut-être 2 centimètres d'herbe, rien d'autre dessus ou dessous et sans couvertures la notre était restée à "Carteret".

27 Juin 1940

03.00
Il y fait tellement froid que nous sommes obligés de courir à travers le camp pour nous réchauffer et nous n'étions pas les seuls. Où est notre bon lit de "Carteret".
04.00
J'ai eu l'idée d'allumer un feu de bois, imité presque aussitôt par les autres. La flamme nous réchauffe, cela nous fait du bien, je vous l'assure.
05.30
Je suis en vigie sur le mur depuis un moment, quand je vois passer une dame en bicyclette, je lui demande de bien vouloir nous rapporter un café si possible avec du rhum, car décidément le froid est encore là. Avec complaisance la dame accepte.
06.00
On boit le café nous 5, il est chaud et bien arrosé. Les voisins nous demandent la combine, mais mystère ! Pourquoi ? Parce que la veille j'ai voulu acheter un bout de pain à un groupe que leurs familles venaient de leur faire parvenir étant originaires du pays. Ils ont froidement refusé. C'est vrai j'oubliais de mentionner que c'était des "biffins"... "Les matelots" j'en ai la conviction, auraient agi autrement.
08.00
La croix rouge nous fait distribuer du café au lait (très bon).
11.00
Menet trouve à nous ravitailler, il faut le dire, on cherche des combines depuis 08.00 mais on n'est pas les seuls, nous sommes je l'estime de 1100 à 1300 dans ce camp qui peut faire 1600 m², inutile de dire si on se touche !
12.00
On nous fait mettre en rangs dans un autre champ pour nous donner à manger. Donc n'ayant ni assiettes, ni gamelle, ni fourchette ni cuillères on cherche qui des boîtes de sardines vides, qui des boîtes de singe etc... Après une attente de plus d'une heure nous avons un bout de pain, viande et nouilles (très bon le tout). C'était curieux de voir tous ces hommes manger dans ces récipients, et manger les nouilles avec leur couteau (pas facile)
15.00
On nous annonce notre départ prochain. Pour Où ?
16.00 - "Valognes"
"Nous 5" nous faisons partie de la 7ème colonne qui comptent chacune 100 hommes et durement escortées nous arrivons à "Valognes". On nous conduit dans un lycée de jeunes filles rue de la "Poterie". Nous échouons sous les combles. Grenier immense rempli de saletés et d'araignées. On nous parque par 50.

la première prison

19.00
soir, rien à souper. Ce régime là commence bien. Heureusement que le coup était prévu et que nous avons paré le choc aussi froidement. Nous cassons la croûte et deux literons de rouge sortent par enchantement des bagages, système "aubette" (nous les avions rentrés dans le pantalon)

Aubette
Guichet de renseignements à l'entrée d'un établissement de la Marine Nationale (arsenal, ministère, etc.).

20.00
A trois on installe la paille, les deux autres vont en mission pour rapporter des couvertures. Macquart revient Oh joie ! Avec une grande couverture piquée, l'autre avec des espèces de vieux rideaux. Nous aurons chaud cette nuit, c'est le principal. Ah j'oubliais au milieu de la cour une belle mitrailleuse est installée sur pivot et deux "All" sont à côté, la main sur la culasse, donc il faut se tenir peinard.

28 Juin 1940 : Ordonnances de ces Messieurs... planqués !

08.00
On sonne la cloche du lycée à 06.00 mais on se lève qu'à 08.00.
09.00
La "Croix Rouge" nous donne du café au lait.
10.00
Grande pagaille, distribution de pain et beurre pour 48 heures. Comment le partager ? Où mettre le beurre de côté ? Puisque nous n'avons rien, aucun récipient. On trouve une vieille "moque" et tout est paré. Je fais acheter par la Croix Rouge à tout hasard de la charcuterie que je dois avoir à 11.00.

Moque
Région. (Littoral de la Manche et de l'Atlantique). Petit pot de terre en forme de tasse avec anse, servant à boire, ou gobelet en fer-blanc servant à mesurer des denrées. "La dite princesse d'Éboli, genou à genou avec ce paysan et ces vieilles pêcheuses, sirotant son café dans une moque de matelot"..

13.00
Déjeuner. Veau, pommes de terre (très bon mais peu) Nous avons dégotté des assiettes toutes cassées et des fourchettes rouillées que l'on frotte sur le sable. On fait les crâneurs ! Ah que les biffins sont peu démerde ! C'est rien de le dire, il faut le voir.
14.00
On joue à la belote dans la cour, sur des tables d'écoliers.
17.00
Un camarade interprète vient nous demander si l'on veut être les ordonnances de ces Messieurs. On s'interroge mutuellement et nous acceptons de principe pour deux raisons : 1 - ici on n'a pas son content de nourriture, 2 - l'argent commence à faire défaut (Impossible de travailler de mon métier, mes outils ont disparu)
18.00
Legras, Macquart sont acceptés par le Commandant du camp pour servir ces Messieurs les Officiers et moi pour un Sous-Lieutenant. Il n'en faut que "3", mais au culot je remorque Menet avec moi et je le case aux Sous-Officiers.
21.00
On se retrouve "les 5" dans notre grenier, résultat très satisfaisant (quoique fortune devant bon cœur), nous avons l'espoir de manger et de boire à notre faim et soif. Le Bordelais en profite aussi. Nous sommes bien les 5 de la Maffia !

29 Juin 1940

07.00
Je vais faire le jus, tout va bien, on se repère, nous sommes chez les Professeurs du Lycée qui ont abandonné leur domicile. La journée passe vite, pas beaucoup de travail.

30 Juin 1940

Toujours pas de libération en vue. On se venge comme l'on peut, on fauche des litrons et un peu de toupet le soir on se rince le gosier avec. Les biffins du camp, ceux qui nous ont joué le coup du pain, sont avec nous dans la carrée, ils se brossent. Ils font ballon !

1 Juillet 1940

Les originaires et habitants d'ici et des environs reçoivent de leur famille de nombreux colis de victuailles et de cidre. Heureusement que nous avons accepté notre poste, sans cela on ferait figure de déshérités.

2 Juillet 1940

Toujours la même situation, mais toujours le système D, on trouve le moyen de faire rentrer du pinard par eux même.

3 Juillet 1940

Nous avons reçu chacun une carte imprimée pour expédier à sa famille. Nous avons droit qu'à une lettre à écrire par semaine, mais on a compris, on sait nager...

4 Juillet 1940 : J'ai 41 ans !...

Par un heureux hasard, on découvre une belle cambuse, aussi nous arrosons ce jour avec S.V.P un vieil Anjou, plus Calvados et Rhum blanc. Nous avions beaucoup d'invités, d'abord nous 5, plus un interprète et 9 camarades Allemands, tous des chics types. Belle journée, mais triste de cœur puisque nous sommes très loin des nôtres. Des bruits courent que la Marine ne sera pas libérée, tout le temps que la Flotte Anglaise ne se sera pas rendue, et nous entendons aussi que si cela continue, les Mères et Femmes de Marins Français seraient internées dans les camps. Jeux d'influences ? Je pense ! Oh si nous avions pu prévoir cela, on aurait risqué le tout pour le tout et nous aurions fait voile direction Nord. Mais si l'occasion se présentait "on filerait vite du mou" ... malgré que les Allemands soient très gentils avec nous.

5 Juillet 1940

On apprend, chose invraisemblable, les Français et les Anglais se seraient battus à Oran "Mers el Kebire" et que des navires seraient coulés.

Première ligne du cahier

Mers El Kébir :
à 16h53, la force H fit feu sur la flotte Française.
Le 6 juillet, les avions-torpilleurs de l'Ark Royal revinrent finir le travail.
Les Anglais n'eurent aucune perte. ! Mais il y eut du côté Français :
1 cuirassé coulé, 1 croiseur de bataille et un cuirassé endommagés, Surtout 1 297 marins tués.
A cause de cette action, la Marine Française, dont une partie se saborda à Toulon en 1942, ne prit pas part au combat contre les forces de l'Axe avant 1943.

Pauvre France Toi si bonne et si belle être arrivée à ça.
Les salauds de chefs, mais Va le Cœur de tes enfants saigne, mais n'est pas mortellement atteint.


16.00
Nous avions demandé à un ami interprète s'il pouvait nous ramener nos sacs de "Dixmude" puisqu'il allait à "Cherbourg" avec les Allemands du camp. Oh veine il rentre à l'instant avec 3 sacs, il manque que celui de Méret ! Malheureusement il nous faudrait nos valises puisque les objets et habits les plus précieux étaient dedans. Soit disant que tout aurait été pillé et détruit (Chimères ce sont les civils qui se sont servis à mon avis)
19.00
On parle de nous envoyer dans un autre camp, car "Valognes" serait trop petit (ici 1300) à Saint Lô 10.000 et plus.

6 Juillet 1940

Le Bordelais va probablement nous quitter, il vient de se faire réformer.
15.00
Par des combines, on lui dit qu'il part demain. Il est de la joie, on ne peut le faire taire, quelle tapette, mais nous les 4 autres, nous serrons je le présume avec un drôle de cafard.
21.00
On boit un bon coup avec lui, en douce naturellement.

7 Juillet 1940 : Sombre Dimanche

De la pluie, quelle misère, nous allons avoir de nouvelles consignes, car trois de nous viennent de s'évader. Aller où puisque notre France n'existe plus ou très peu ? Alors ? !!!
12.00
Voici notre menu à nous "les planqués" : veau, frites, rosbif, camenbert, crème, bon vin, fruits cuits, café, calva et chartreuse. Tout cela avec le Bordelais.
13.45
Bordeaux emporte des lettres pour Paris et s'il peut les remettre lui même. On lui donne des vivres en douce.
Quelle heureuse journée pour lui, mais nous on peut chanter la fameuse chanson Viennoise intitulée "Sombre Dimanche".

Première ligne du cahier

Sombre dimanche

Les bras tout chargés de fleurs
Je suis entré dans notre chambre le cœur las
Car je savais déjà que tu ne viendrais pas
Et j'ai chanté des mots d'amour et de douleur
Je suis resté tout seul et j'ai pleuré tout bas
En écoutant hurler la plainte des frimas ...
Sombre dimanche...
Je mourrai un dimanche où j'aurai trop souffert
Alors tu reviendras, mais je serai parti
Des cierges brûleront comme un ardent espoir
Et pour toi, sans effort, mes yeux seront ouverts
N'aie pas peur, mon amour, s'ils ne peuvent te voir
Ils te diront que je t'aimais plus que ma vie
Sombre Dimanche

Cafard, pluie, pas de nouvelles... rien !
Mais nous allons noyer tout ça, on finira de mettre à sec notre cambuse et il y a de grandes chances que nous soyons "lovés" ce soir.
17.00
Jean nous fait voir la façon de déguster le rhum. Je vous assure qu'il s'y connaît, il n'a pas besoin de verre à dégustation. Oh que non !!

8 Juillet 1940

Il y a des vols dans toutes les chambres, c'est rudement "minable" de la part de celui (ceux) qui les font. Nous sommes pourtant tous au même point, c'est à dire de malheureux prisonniers. Donc nous avons décidé de les quitter. Nous dégottons de belles chambres. Macquart Legras dans une, Menet "Wéber" et moi dans l'autre. Une chambre épatante, dans un coin des valises, des malles remplies de linge, tout cela pêle-mêle, de nombreuses bouteilles vides, un vrai "marché aux puces". Là Wéber met son lit, il est bien tout seul. Nous deux Jean avec de la paille et des malles et des planches nous installons un chouette de lit ; nous avons SVP des oreillers, sans draps naturellement. Nous ressemblons à des "pachas". Je pense que la nuit sera bonne, quoique couchés par-dessus de la paille, les reins seront raides le matin ?
14.00
Nous avons un peu de veine, car nos fenêtres donnent sur la rue, ainsi on peut vivre un peu, on voit les passants, surtout les parents des prisonniers qui habitent les alentours rester des heures devant la porte, espérant voir serait-ce qu'une seconde un des leurs. Nous ne pouvons rien faire pour leur rendre service.
17.00
Le bruit court que les Français bombardent "Gibraltar". Est-ce bien vrai ? !

9 Juillet 1940

Bonne nuit de passée. On est vraiment bien, la confiance revient un peu. Surtout que Messieurs les Allemands ont l'air triste.
14.00
Les premières sorties en groupe commencent aujourd'hui. La promenade consiste à marcher sans s'arrêter pendant 2 heures. Les visites sont tolérées, chaque prisonnier a droit à son tour par compagnie, à parler pendant 10 minutes à ceux qui viennent les voir. Quelle joie pour eux. Nous, on se cache car Le plaisir des uns fait souvent du mal aux autres !
17.00
Le soleil se fait voir après trois jours de pluie.
17.30
Un Allemand vient nous dire " Vous guerre fini, Nous commence seulement."
20.00
Il vient de nous faire comprendre qu'ils partent tous pour embarquer à Cherbourg. Tous ne sont pas gais et ils disent "Nous guerre Tommy's".

10 Juillet 1940

Toujours la pluie, les pauvres femmes de prisonniers, les visiteuses sont toute trempées. On parle de nous envoyer du côté de "Saint Vast" dans un fort. Probablement un bruit de "Poulaines".

Poulaine
Sur les anciens navires, plate-forme triangulaire, formant saillie à l'extrême avant, où les matelots lavaient leur linge et où se trouvaient les latrines.
Lieux d'aisance de l'équipage, à bord et aussi dans les casernements de la marine. Pressé de satisfaire un besoin, au lieu de s'asseoir simplement sur un des sièges de la poulaine, il avait eu la funeste idée d'aller se percher sur le garde-fou de babord (Dumont D'urville 1842)
Gabier de poulaine. Marin bon à rien (sauf à nettoyer les poulaines)
Tuyau de poulaine. Racontar sans valeur.

Nous avons eu depuis bien longtemps aujourd'hui un journal du jour "Cherbourg-Eclair".
Pas gai le canard, on a compris ! On le laissera de côté et pour cause ! Journal de "la collaboration" !
02.00
Ce soir nous avons dans la cour de la musique et des chansons faites par des camarades prisonniers.

11 Juillet 1940

Macquart reçoit aujourd'hui la 1 ère lettre, elle arrive de Paris.

12 Juillet 1940

On nous annonce que nous allons retourner à "Cherbourg". Le départ n'aura lieu que Lundi, quel coin ? On ne sait pas.

13 Juillet 1940

Départ en voitures de la 1ère compagnie.
09.00
Départ de la 3 ème pour ...X.
On ne sait toujours rien. Si je n'avais pas mes notes je ne saurais ni la date, ni le jour. On vit comme des bêtes et même moins, car les bêtes sortent. Quel drôle de temps, il fait presque froid. Le soir distribution des lettres. Zéro pour nous, c'est très dur... ça....

14 Juillet 1940 : Fête de la Liberté... Ironie cruelle ! Mais vraie !

10.00
Messe dans la cour. Le curé est un copain prisonnier lui aussi.
12.00
Menu : rosbif pommes de terre, beurre, camembert et pinard toujours "système". Que d'avions dans le ciel, où vont-ils ? Sûrement du côté de la côte Anglaise. Le départ est fixé pour demain 7.00. Les bagages partiront en camions, mais les hommes à pied et 23 Klm à faire, une paille. Nous les 4 et quelques autres partirons qu'à 16.00 et en camions. C'est chouette car la route ne dit rien, surtout excortés ! Que nous réserve "Cherbourg" ? On verra bien.
17.00
Joie pour moi, j'ai 3 lettres. Je les dévore. Que cela fait du bien, c'est inoui.
19.00
On va finir notre séjour à "Volognes" en beauté. Nous avons touché de l'argent, pas beaucoup mais ça s'arrose.

15 Juillet 1940 : Prisonniers à Proteau

Départ des copains sous une pluie battante et à pied. Ah les malheureux, à peine vêtus, qui en savates, têtes nues, un vrai désastre ! Pauvre civilisation !
10.00
On sort au culot pour prendre l'apéro, car la devise du matelot est de partir les poches vides d'argent. Au café un civil nous donne 30 Fr pour prendre l'apéritif, cela nous a profondément touchés. Il y a encore de bien braves gens sur terre.
Un civil nous raconte que notre libération est proche. On n'ose y croire. Pourtant !
10.40
On embarque nos sacs.
12.45
On ressort pour finir les 30 Fr avec quelques Calvados.
14.00
Je touche 40 Fr
Plus 10 Fr de la locataire (pour avoir respecté ses affaires)

INSEE
1 franc 1940 vaut en franc 2001 : 2,127

15.00
On resquille pour nous 5 un grand sac, on y met 2 pains de 6 livres, 4 kg de singe-conserve, 4 boîtes de fromage, du sucre, du chocolat. On ne sait pas si l'on soupera ce soir, alors vive les réserves.
16.00
Nous démarrons en camionnettes. Sur la route tout le monde nous dit bonjour, pensez, nous sommes seulement à 4 à être habillés en Marin, sauf la chemisette. Que c'est beau, respirer librement pendant quelques instants où arrive ou passe par l'aviation. On voit en passant les 3 ponts sur la Douve qui sont écroulés.
notre nouvelle prison. Une Grande caserne de biffins "Proteau".

la deuxième prison

Il y aura 11.600 prisonniers à Proteau

Tout à côté des réservoirs à mazout brûlent depuis le 17 Juin. Ce n'est que fumée, tout est noir et l'air y est irresponsable surtout que nous sommes sous le vent. On échoue à la "7ème Compagnie" 8 ème escouade escalier I, 1er étage. On a des lits de fer ; on doit avoir une paillasse et une couverture à 20.00. On ne parle pas de souper, on va faire ballon, on s'en moque, on a des vivres.
20.00
Officiellement pas de souper, chouette entrée, cela va bien. Beau régime après un "poireau" d'une heure on touche son couchage.

16 Juillet 1940

Ah qu'ils sont durs les lits de la biffe ! Rien ne vaut un bon bois de lit. Ah nous avons ramené notre couverture piquée heureusement car les nuits ne sont pas chaudes !
07.30
Comme jus... du thé. Oh ! Que c'est moche à boire.
09.00
Sommes dans la cour à l'appel depuis 08.00, que c'est long.
On explore notre nouvelle demeure. Que c'est noir avec cette maudite fumée. On monte sur les toits, on découvre tout l'arsenal. Beaucoup de choses de démolies et ça brûle encore après un mois. Les avions passent sans arrêt, et dans la cour un factionnaire sur deux porte une mitraillette sous le bras.
12.00
Jusqu'ici pas de déjeuner.
14.00
On doit aller dans les "roulantes" chercher du riz au gras sans viande et sans pain. On n'y va pas !
16.00
On me met chef d'escouade. Quelle corvée.
18.00
Après une heure de planton, nous touchons pour 24.00 notre pain 350 grammes, du beurre et 1 camembert pour 12 hommes.
19.00
A dîner hélas on touche juste une soupe ? Eau chaude !!!
19.00
Toujours la pluie fine "le crachin" de la Manche. On voit les toits, la rade, pas un seul bâtiment, même en vue.
Triste spectacle.

17 Juillet 1940

08.00
Tous les jours appel et ça dure 1 heure.
11.00
Contre-appel, il manque des prisonniers. Pendant ce temps un gros bombardier Anglais a jeté 3 bombes sur la ville et au moment qu'il passe au-dessus de la caserne, il amorce un piqué et à 200 mètres reprend de la hauteur puis part direction Nord. 4 chasseurs Allemands le prennent en chasse, la DCA Allemande tire dur, les balles sifflent, tout cela a duré 10 à 15 secondes. La chasse et le tir continuent.
Nos vœux vont à l'Anglais naturellement.
14.00
Il y a un théâtre qui est joué par des copains (pas mal du tout)
16.00
Les avions Anglais sont revenus. Ils sont là, les bombes tombent, nous sommes bien placés.
19.00
Distribution de pain, beurre camembert, surprise agréable, ¼ de vin.

18 Juillet 1940

Toujours le thé le matin avec du lait, une vraie purge.
11.00
Appel dans les piaules par un officier Franc biffin.
13.00
Déjeuner. Haricots (très peu) viande 10 grammes par homme ! C'est pas lourd.
14.00
Courrier. J'ai 3 lettres, Macquart et Menet aussi. Il n'y a que Legras qui n'a rien, pauvre vieux.
17.00
Le temps se couvre. Que d'avions dans l'air !
21.00
On se couche après avoir fait et donné une démonstration de belote à Jean et à Raymond.

19 Juillet 1940 : Coiffeur de la 7 ème compagnie

Toujours le mazout qui brûle, on ne voit plus dans la cour tellement qu'il y a de la fumée. On se croirait à bord d'un torpilleur au moment de l'appareillage.
12.00
Je suis accepté comme coiffeur de la 7ème Compagnie.
J'ai quelques outils, je vais tâcher de me défendre.
17.00
Raymond a enfin une lettre.
21.00
Seconde démonstration de belote et même de jeu de dames.

20 Juillet 1940

Les vieux de l'ancienne guerre doivent donner des renseignements sur leurs états de service ancien.

"Jo" : qui très jeune avait été volontaire à la fin de la guerre de 14-18 donc serait concerné.

Est-ce un présage ?
20.00
Les avions B sont dans les parages car la DCA All tir.
20.30
On doit aller donner des renseignements au sujet de la paye.
21.00
On n'a pas joué ce soir. "Jo" a un drôle de cafard.

21 Juillet 1940

Interdiction de monter sur les toits, les gardiens ont reçu l'ordre de tirer sur les prisonniers. Ils ont tiré hier au soir, mais sans faire mouche ! Heureux ?
Par combine nous avons su que la TSF Anglaise a signalé que l'avion du 17 Juillet amorçait son piqué car l'observateur avait repéré des troupes dans la caserne et les croyant ennemies voulait les anéantir. Quand il aperçut au bout de la cour les chéchias rouges de nos Sénégalais, tout de suite il a compris "c'était des Français". Nos amis Anglais nous croyaient encore à Valognes. Nous les 1300 nous avons eu chaud.
10.00
Messe dans la cour.
10.30
Nous avons vu passer 93 bombardiers All direct N.
La nourriture est bonne, mais insuffisante.
21.00
Toujours la DCA. On vient Menet et moi de gagner de drôles de parties de "coinchée". Les 2 Cherbourgeois n'ont pas eu de veine.

22 Juillet 1940

Visite des civils pour le camp.

23 Juillet 1940

C'est de plus en plus irrespirable, la fumée de mazout, cela vous fait pleurer.
Ce soir On a dérouillé à la coinchée.

24 Juillet 1940 : Coiffeur des Allemands

3 mois que je suis mobilisé. Que de changements depuis Hélas.
Je suis passé le coiffeur des Allemands. Je vais tâcher de me faire un petit salon propre.
Ce soir surprise, la Croix Rouge nous a envoyé à chacun de nous 5 un petit paquet. Dedans, 1 morceau de chipolata et une part de camembert. Cela nous a fait bien plaisir.
17.00(notée 5.00 dans le texte)
Une forte explosion a été entendue d'ici. On suppose une poudrière "les Flamands" Il doit y avoir des tués.

25 Juillet 1940

L'explosion a fait 4 tués et 3 blessés.
Les pompiers All vont essayer d'éteindre les réservoirs de mazout. Tant mieux s'ils y parviennent.
Toujours DCA et ça tape dur.

26 Juillet 1940

03.00
Alerte DCA. Des bombes tombent avec un bruit infernal. Tirs aux canons. Avions repartent tranquilles.
16.00
J'ai l'autorisation de descendre à terre pour 2.00 acheter du matériel. Quel triste spectacle de voir Cherbourg ainsi. C'est pénible, mais il faut reconnaître une chose, tous les Allemands sont très gentils et corrects. Cela fait un baume au cœur.
Ce soir j'ai trouvé pour les 3 copains une combine, c'est à dire vivres et cambuse. Aussi quand j'arrive dans la casbah je suis bien accueilli. Si cela continue on se défendra pour la croûte.

27 Juillet 1940

Visite des avions Anglais, tir de barrage fourni avec projecteurs. Des bombes ont atterri ? Où ?
Ce soir on a apporté un colis au nom de Macquart pour "les 4 Parisiens isolés de leur famille". Dedans il y avait 1 gros pain, grosse boîte de sardines, pot de confiture et demain, on doit nous en remettre un autre. On voudrait savoir de qui ça vient, mais malgré tout, cela nous a fait drôlement plaisir. Et pour fêter tout cela, j'ai rapporté un litron et de la crème au chocolat. Tous se sont bien régalés.

28 Juillet 1940

Nous avons eu de la veine. On pose Menet et moi une "Perm" au culot. Elle est accordée, donc nous sommes libres jusqu'à 20.00 depuis 02.00. Biens reçus par la population, car nous étions en matelots, sans chemisette. Nous avons été pour ravoir nos valises. Hélas tout a été pillé par la population civile du coin. Sur le tout j'ai retrouvé juste une chemisette. Alors Adieu valise aussi. A 20.00 retour et il y avait la "bitture", on était "lové" et bien.

29 Juillet 1940

03.00
Toujours les avions B jettent leurs bombes pas très loin. DCA inefficaces.
Nous savons qui nous a envoyé les colis, c'est "une Postière d "Equeurdreville". Nous avons été très surpris de cette aubaine.
Je suis installé et tous les jours je ramène à la chambre du pinard et pas mal de choses, nous avons des réserves, 3 Kg de singe, 5 boîtes de sardines, 4 de maquereau, 3 pains de 3 livres d'avance. Nous avons ainsi notre cambuse. Tout va de ce côté.
Nos gardiens ont été relevés, donc de nouvelles têtes.
20.00
Alerte. Beaucoup de fusées.

30 Juillet 1940

Je prends mes repas à la cuisine des Off. All. donc pénard. Très bien nourri, les cuistots sont des copains prisonniers.
09.00
Alerte des bombes tombent ! Où ?

Première ligne du cahier



La bataille d'Angleterre Le 30 juillet 1940
Hermann Gœring, qui dirige la Luftwaffe, l'aviation de combat allemande, annonce le début de la "grande bataille aérienne" contre l'Angleterre.

A peine la France est-elle à genoux... 700 chasseurs sont engagés dans la bataille.
Celle-ci va très vite tourner court du fait de la résistance héroïque des pilotes britanniques du "Fighter Command", qui disposent d'un nombre équivalent d'appareils. De juillet à octobre, 415 pilotes anglais perdront la vie dans cet affrontement décisif. Le Premier ministre exprimera dès le 20 août la reconnaissance des Britanniques à leur égard
"Jamais dans l'histoire des guerre un si grand nombre d'hommes ont dû autant à un si petit nombre".

31 Juillet 1940

Aujourd'hui je suis descendu à terre faire des achats. Ville très calme.
Nous avons fait plaisir à quelques camarades Sénégalais. Les pauvres sont les plus à plaindre. On leur a donné 12 livres de pain, 2 Kg de singe et moi du tabac. On a fait des heureux, surtout qu'ils n'ont rien, ni lettres, ni colis, ni visites et pourtant ce sont des frères d'arme.

1 Août 1940

Un cultivateur de notre carrée étant revenu de "Perm agricole", nous a rapporté du poulet et du Calva. C'était rudement bon.
17.00
9 bombardiers Anglais sont venus jeter des pruneaux. Très bien vus.

2 Août 1940

Vu Anglais bombes.

3 Août 1940

Ce soir combat de boxe dans la cour pour venir en aide aux prisonniers sans famille et aux Sénégalais. Très gentille fête qui a rapporté plus 1200 Fr.
Belle solidarité bien Française.

4 Août 1940

On comptait descendre à terre, déception.
Nous avons reçu un nouveau colis "les 4 Parigots" 1 pain du jambon, 2 litres de vin, pain d'épices, 2 paquets de tabac.
C'est de bien braves gens.
Nous avions quitté la compagnie pour habiter le bâtiment des All. Je me suis débrouillé pour faire rentrer Macquart à la cambuse (voyez la suite). A nous la "jecte" de pinard. Menet et Legras je les fais mettre ordonnance. Travail facile.
Nous sommes ensemble. On mange à la cuisine des Off.

5 Août 1940

10.00
Quelques chefs ont quitté "Proteau" pour X (Rennes) pourquoi ?
Depuis hier midi on n'entend presque pas d'avions. Le temps est bas, mais non bouché. On apprend que des civils jouent quelques tours. Est-ce vrai ?
On fait déguerpir Menet et Legras de notre bâtiment. Pourquoi ? C'est la poisse, on était bien.

6 Août 1940

Ce matin de nouveau les avions. Pourquoi ce silence de 2 jours ?
Triste journée, bruine.
Ce soir que d'avions passent ? Mais à qui ?

7 Août 1940

09.30
J'ai compté 63 avions bombardiers All prendre la direction N.
Cela me fait mal de penser aux pauvres innocentes victimes qui vont s'écrouler dans quelques minutes. Car d'ici la côte Anglaise il faut compter 12 à 14 minutes de vol. Ah ! Guerre !
14.30
Plus de 180 avions All passent direction N. Mais ils ne repassent jamais, jamais ici au retour.
20.00
Alertes Anglaises toute la nuit, toujours la DCA.

8 Août 1940

Descente à terre avec Macquart. Bien bu, il y avait du roulis

9 Août 1940

Alertes RAS

10 Août 1940

Vent terrible, ciel beau, bombes sur Querqueville. Riposte mais Zéro.

11 Août 1940

Macquart a eu la satisfaction de voir sa femme arrivée de Paris.
12.00
Toujours forte brise. Plus de 100 avions direction N.
20.00
Raymond rentre de terre. Il est très gai. On sait pourquoi !
23.00
Alerte. Compte 5 bombes

12 Août 1940

Départ de 117 avions direction N.
08.00
Appel. Les Chefs, Maîtres et Sous-Maîtres ont sorti leurs habits, galons et décorations.
On les retrouve comme avant, ceux qui savaient si bien se cacher à "Valognes". Ah ! Ce sont bien toujours les mêmes.
16.00
Départs d'avions et toujours très nombreux direction N.

13 Août 1940

Nous avons réussi à nous photographier !
Toujours système D.
Envoi d'un paquet pour Paris.

14 Août 1940

Aperçu 4 Anglais. Tir de DCA. Pas entendu de bombes.
Le cuistot part pour 72.00 à Paris. Le veinard.

15 Août 1940

Voici de nouvelles rumeurs. Les Russes auraient déclaré la guerre. Des tracts auraient été lancés par avion Ang. Le 15 serait une journée mémorable pour le monde et tragique pour la France.
Ah ! Si je pouvais exprimer ma pensée, je parlerai comme nos ancêtres ceux de Valmy.
Attendons nous serons prêts à tout.

16 Août 1940

Que de faux bruits, le 15 est passé et rien ! Nous allons avoir de nouveaux gardiens. Ils sont 80 et on attend 300 nouveaux prisonniers qui arrivent de Saint Lô.
Je coupe les cheveux à Monsieur le Commandant Allemand. Un bien brave homme.
14.00
Les 300 camarades arrivent. Les gardiens sont de la province de Koenisberg et viennent de Hollande. Ils sont âgés la plus part âgés de 50 - 55 ans. De bons pères de famille.

17 Août 1940

Je rase les nouveaux gardiens. Tous très gentils.
On vient de nous parler de la nouvelle arme des Anglais. Est-ce vrai.
23.00
Alerte

18 Août 1940

Toujours la même vie, toujours alerte la nuit.

19 Août 1940

Il pleut, il fait froid.
Ordres très sévères, après le coup de cloche de 21.30 tout prisonnier traversant la cour peut être pris et mis en joue par les factionnaires. Pas drôle pour ceux qui auront la colique. Comment va-t-on faire ?
Ce matin de grosses pièces de canon ont tiré une dizaine de coups de feu. Tout tremble ici, soit disant que ces pièces tirent sur l'Angleterre, soit 200klm environ. Moi je ne crois pas. Je pense plutôt à des pièces de 240 qui tirent à 35 - 40 klm, pas plus.

20 Août 1940

Il fait froid. Heureusement je me suis fait exempter d'appel.

21 Août 1940

Toujours froid et alertes.

22 Août 1940

Je suis appelé devant le Commandant Allemand pour mes "prix de travail".
Je suis ressorti avec ce que j'ai voulu. Très bien reçu.

23 Août 1940

J'ai fait faire par un copain interprète des traductions de phrases concernant mon travail. Cela me facilite beaucoup.

24 Août 1940

RAS

25 Août 1940

RAS

26 Août 1940

Des bruits concernent que la Grèce aurait déclaré la guerre à l'Italie. On ne sait rien de sûr ici, c'est ennuyeux.
Toujours alerte et bombes incendiaires.

27 Août 1940

Je descends à terre chercher de la parfumerie pour les 2 Commandants Allemands.
Cela semble bon être dans la rue, et en matelot on a du succès. Mais en ville que de démobilisés, des tout jeunes.

28 Août 1940

On dit que les démoblisés de l"Alsace - Loraine" partent chez-eux samedi.
Les "Postiers" partent demain.

29 Août 1940

Soit disant que nos colonies seraient encore en guerre, mais pas de précisions. On vit comme des bêtes.

30 Août 1940

Toujours aucune nouvelle exacte.
Beau temps, le ciel est beau de ma fenêtre où je travaille. Il y a un contraste, en bas la route qui longe l'arsenal, à gauche les puits à mazout, enfin éteints par les pompiers Allemands. Des As.
Au premier plan une belle maison écroulée. Tout a été brûlé dedans. Par-dessus j'aperçois la mer, à droite des buttes garantissent d'anciennes casemates, avec des postes de DCA.
Entièrement à droite, la mer avec la digue.
Contraste car la destruction, à côté de la nature, formidable ce qu'est la vie à côté de la mort ?

Voici la description de mon salon,
3 tables recouvertes de tissu rose (resquille), 3 chaises, une table de toilette avec mes outils et ustensiles de travail, un fauteuil simple à qui j'ai ajouté le dossier du fauteuil du dentiste. C'est rustique, mais ça va, j'ai un repose-tête à glissières.
Comme je n'ai pas l'eau courante, j'ai 2 brocs et un sceau, et pour agrémenter le tout cela j'ai 4 pots ;
2 pots à eau, une tasse et un verre où j'y mets des fleurs.Cela fait du bien, c'est un peu plus gai.
J'ai eu la visite d'un général All et d'un Major. En partant ils m'ont dit "Friseur Prima".
Ah ! J'oubliais, j'ai une belle armoire en acier où je resserre mes outils le soir et au mur une grande carte de la France (de la France).
J'ai une grande glace... tout cela de la resquille (on se défend).
Jusqu'à présent tout va bien, mais vive le civil - La liberté.

31 Août 1940

Hier soir un convoi de prisonniers est arrivé ici, venant de Saint Lô.
06.00
Plusieurs avions Anglais. Compte 10 bombes de fort calibre.
Un fait pénible, des prisonniers ayant omis de saluer un Sup All ont été frappés par lui.
Mais il faut reconnaître que de nombreux Chefs All ne l'ont pas approuvé, au contraire.

1 Septembre 1940

Aujourd'hui Dimanche, l'Evêque de la Manche est venu faire une allocution aux prisonniers. Etant de service je n'ai pu y aller.
Après-midi triste, sombre Dimanche. Le soir a été meilleur, mais c'est pas ça.
Pas d'alertes depuis 3 jours.

2 Septembre 1940

Aujourd'hui parait le premier numéro du journal des prisonniers dénommé l'"Ombre". Fait en collaboration exclusive entre prisonniers de "Proteau".
Journal très intéressant, cela fait passer un bon moment.
Rien de nouveau. Si j'ai touché pour le mois d'Août 13 marks.

"Les Cahiers anecdotiques de la Banque de France" : Montbéliard 1940 :
Ils payaient en marks car ils avaient aussi ordonné : la monnaie en vigueur comprend :
- la monnaie française;
- les billets de crédit édités par le Gouvernement allemand pour les territoires occupés -autrement dit les marks d'occupation- au cours de un mark pour vingt francs.
Ils avaient bien préparé leur affaire et depuis longtemps, car j'ai vu par la suite des paquets entiers de ces billets portant comme date de Contrôle mars ou avril 1935.
Ils en étaient, dès leur arrivée, abondamment pourvus.
Je crois qu'un simple soldat recevait deux marks et demi par jour ce qui lui permettait de se procurer, gratuitement, pour cinquante francs de nos marchandises chaque jour.

3 Septembre 1940

RAS. Si 2 coups de feu dans la nuit. Est-ce sur un prisonnier ?

4 Septembre 1940

Ce soir alerte. De nombreux avions Anglais. Compte au moins 14 bombes. Tirs intenses, projecteurs etc...

5 Septembre 1940

Des coups de feu ont blessé mortellement un camarade arrivé de Saint Lô, parce qu'il était à la fenêtre. Triste vie.

6 Septembre 1940

Bombes jetées sur la ville, un jeune homme de 15 ans a été tué. C'était justement un volontaire pour rapporter des colis aux prisonniers. Aussitôt une collecte a été faite.

7 Septembre 1940

Toujours alertes. Que de faux bruits, presque impossible à croire.

8 Septembre 1940

Je suis descendu à terre avec Menet. Il y avait du roulis tout allait même bien.

9 Septembre 1940

On dit que la quête faite au camp des prisonniers pour le jeune homme dépasse 2000 Fr. Tant mieux.

10 Septembre 1940

12.00
Alerte, des bombes ont été jetées à "Tourlaville".
Vent et pluie. Je suis allé en ville de 15.00 à 18.30. Vu un copain de "Dixmude" qui est prisonnier à "Jouiville".

11 Septembre 1940

Rien de nouveau, nous avons de nouveaux gardiens d'arrivés. Les anciens partent dans quelques jours. En ce moment le courrier n'arrive pas - pourquoi ? -
Aujourd'hui beau temps. J'aperçois sur rade beaucoup de vedettes All. Elles prennent le large direction E. Peut-être pour escorter des radeaux. J'en doute car la mer est mauvaise au large, elle moutonne drôlement. Attendons les événements.
Mais que c'est long.
Les Alsaciens et Lorrains doivent retourner dans leurs pays demain.
Hier des personnes de Cherbourg ont été blessées par la DCA.

12 Septembre 1940

Toujours des bruits On doit libérer pour le 15.
Les "vielles classes" jusqu'à la classe 21. Est-ce vrai ?

Beaucoup de cargos rentrent dans le port. Ils ont l'air d'être Français. Pourquoi rentrent-ils ?

13 Septembre 1940

Vu des croiseurs au large. Ils doivent être All.
Aujourd'hui que de vent et d'eau. C'est l'hiver. Je plains les pauvres copains qui sont en corvées. C'est pas rose.
Oh ! Que Non.

14 Septembre 1940

Je vais déménager de ma pièce car on attend 300 gardiens. Donc il faut les loger.

15 Septembre 1940

Je suis maintenant au rez de chaussée. Je suis très bien, surtout que j'ai une chambre où je couche ainsi que Macquart. Nous sommes descendus à terre avec Macquart. Bonne journée.
12.00
Nous tous nous avons fait un petit gueuleton ? On avait charcuterie, dindon, flageolets, fromage, bon vin et café.
Le soir à terre, escargots, poulets, frittes, bon vin, café, fine, etc... On est rentrés à moitié lovés.

16 Septembre 1940

J'ai pas mal de travail. Les gardiens sont arrivés à 150. C'est tous de très bons gars.

17 Septembre 1940

Rien de nouveau. Le courrier marche très mal, aucune nouvelle du Doubs.

18 Septembre 1940

Alerte de nombreux avions viennent nous rendre visite. Bombes, tirs de barrage et potin de tous les diables.

19 Septembre 1940

On dit qu'un avion, les uns disent All, les autres disent Ang aurait été abattu et serait tombé sur une maison. Plusieurs victimes civiles.
De nombreux prisonniers sont arrivés au camp. Ils sont tous d'Octeville.
Ils sont en otages pour quelques jours. Pourquoi ?
Ce soir, alerte, tirs de DCA. De nombreuses bombes. Il pleut.

20 Septembre 1940

Toujours des alertes et plusieurs fois par jour.
On joue au billard, c'est le billard des officiers français de la caserne. Les boules sont biscornues, les queues sont minables, mais ça va tout de même.

21 Septembre 1940

Nous avons eu Nous 4 une heureuse surprise. Notre ami "Williams" de "Dixmude" est arrivé ici, venant de Saint Lô. Cela nous fait bien plaisir car c'est un bon copain. On va se débrouiller pour lui adoucir son changement de prison.

22 Septembre 1940

Notre ami Williams mange avec nous et il travaille à côté de moi. Il fait des tapis de table.
Aujourd'hui il n'y a que Menet qui sort. Je suppose qu'il va rentrer lové. Alerte à 15.00.

23 Septembre 1940

Oui, nos prévisions sont justes. Menet était bien hier soir.
Le temps est merveilleux.
Les avions de chasse All se montrent. On s'attend à une alerte cette nuit.

24 Septembre 1940

On ne fait plus de billard. Dans nos temps perdus on fait des tapis.

Madame Giscard la mère de "Jo" m'en a montré, elle les choyait...

Les otages sont partis.
Toujours alertes et bombes.

25 Septembre 1940

De nouveaux otages arrivent. Des hommes de 13 à 45 ans.
C'est malheureux et triste de voir ça et pour combien de temps ?
Ce matin, plus de 100 avions sont partis direction N. C'est affreux.
6.00 après ils sont repassés, mais tellement haut que nous n'avons pu en établir le nombre.
Hier soir en reconduisant notre ami Williams dans sa compagnie, on a tiré un coup de feu dans notre direction. Est-ce pour nous ?
Toujours est-il grâce à mon métier une sentinelle m'a reconnu. Il nous a laissé passer partout, pourtant il était 21.30. Il fait assez beau, mais sale vent.

26 Septembre 1940

Reçu lettre du Doubs.
Toujours du vent.
Les otages font des corvées, pas drôle tout ça. Oh ! Que non.
Toujours aucune nouvelle de libération. Ah ! Si des bruits de "poulaines" ça ne manque pas. On en raconte, mais rien de vrai.

27 Septembre 1940

Les otages sont toujours ici, il y a des gosses de 13 ans et demi. C'est malheureux de voir ça. Ils ne savent même pas pourquoi.
Aujourd'hui départ de nombreux avions direction N.
22.00
Alerte, les bombes tombent pas loin. Tirs de DCA. Les éclats tombent à nos pieds.
23.00
Alerte, DCA.

28 Septembre 1940

Toujours des bruits, mais on fait la sourde oreille, car les bruits sont quelques fois "espérants" ou "démoralisants".
Alerte, projecteurs, DCA. On ne va pas entendre les bombes car de grosses pièces de DCA tirent. Le tout avec des petites pièces, mitrailleuses qui font un bruit terrible.
On a toujours espoir. Oh ! Que la vie vous semble dure, quoique nous 4 nous sommes privilégiés. Mais c'est long. Toujours la prison, pas d'autres bruits que les moteurs d'avions et le bruit de la DCA.
Oh ! Vivement la "Classe".
00.30
Alerte, projecteurs, bruits d'avions et tirs au loin, c'est à dire à 1 km de nous. Nous nous sommes levés mais ça ne valait pas le coup. On s'habitue aux alertes !

29 Septembre 1940

Aujourd'hui encore un Dimanche ici ? Rien de nouveau, fort vent. Cela n'empêche pas la chasse All de voler très bas. Pourquoi ?
De très nombreuses batteries de DCA de tous modèles et tous calibres sont montées autour de notre caserne. Que de projecteurs. On peut appeler cela de la DCA.
Pourquoi la France n'en avait pas autant ??

30 Septembre 1940

Toujours alertes 2 fois dans la journée et 2 fois la nuit.
Rien à signaler.

1 Octobre 1940

De nombreux avions prennent direction N.
La nuit par contre, alertes et bombes sur les environs d'ici. Tirs de DCA.

2 Octobre 1940

Sorti à terre avec Macquart et Williams.
Trouvé charmante dame qui nous a offert 100 Fr pour nous 3. Nous avons décidé de les boire avec tous les copains de notre groupe. Cela nous a fait bien plaisir, on retrouve des cœurs Français.
Dans un grand magasin d'ici du nom de "Ratti", les vendeuses et caissières nous ont offert l'apéritif et nous ont dit "cela fait rudement plaisir de boire avec des "cols bleus". Le soir inutile d'ajouter "lovés". En plus notre ami André arrose ses 26 ans, donc Cognac et Rhum. La vie était belle... hélas que quelques heures.
21.00
Alerte, tirs de DCA.

3 Octobre 1940

07.00
Alerte, tirs de DCA. Nous montons sur le toit. Pluie de bombes lancées pas très loin d'ici.

4 Octobre 1940

Journée de pluie. De grosses pièces de canons sur trains blindés. Tir au large. Nous pensons que c'est des exercices. Les vitres de la chambre sautent, car ce sont des coups formidables. On entend distinctement le bruit et le passage des obus. Les pièces sont à 200 mètres de nous.Journée de pluie. De grosses pièces de canons sur trains blindés. Tir au large. Nous pensons que c'est des exercices. Les vitres de la chambre sautent, car ce sont des coups formidables. On entend distinctement le bruit et le passage des obus.
Les pièces sont à 200 mètres de nous.

5 Octobre 1940

Alerte ! Une flottille de tout petits chasseurs All prennent le large. Les yachts dansent drôlement. Ils connaîtront la sortie de la rade de Cherbourg. Un beau souvenir.
12.00
Vent et pluie, un vrai ouragan, pas drôle.

6 Octobre 1940

Alerte le matin, tirs de DCA. Toute la journée les pièces tirent. Sur quoi ? Mystère. Des avions de chasse volent sans arrêt et rasent notre caserne.

7 Octobre 1940

Alerte le matin.
21.00
Bruits de moteurs, les projecteurs, les fusées, les canons DCA, les mitrailleuses entrent en action et ça pétarade dans tous les coins.
Les éclats de la DCA tombent par centaines. Quel raffut.
Touche 13 marks salaire de Septembre.

8 Octobre 1940

Toujours des tirs. Le vent souffle toujours. Ce matin crachin.
14.00
Le temps se lève.

9 Octobre 1940

200 prisonniers de Saint Lô (haras) arrivent ici. Ils sont tous très déprimés et maigris. Cela porte à 2400 l'effectif de "Proteau".

10 Octobre 1940

15.30 - 21.00
Alerte DCA
23.00
Tirs sans interruption jusqu'à 05.00.
Des coups formidables, fusées éclairantes, tirs très intenses. Toutes les pièces tirent, DCA, côtières etc...
Un raffut infernal. Impossible de dormir, le sol tremble. Projecteurs, pluie et en même temps pluie de morceaux d'obus de la DCA.
Drôle de nuit.
Le danger est là mais on est quand même heureux car on espère toujours. Belle âme Française.
Les All descendent dans les abris et Nous ?
Prisonniers nous montons le plus haut possible pour voir les dégâts. Les projectiles passent à quelques centimètres de notre visage, mais qu'importe !
Le sang Français parle. Ah ! Que l'on peut être malheureux nous qui avions tout pour avoir et garder notre liberté individuelle. Mais rapport à des lâches, nous sommes devenus esclaves. Mais qui vivra - verra ???

11 Octobre 1940

Nous apprenons de source sûre que ce sont les escadres de la marine Anglaise qui ont bombardé Cherbourg et les environs de 23.00 à 05.00.
Les avions jetaient des bouées lumineuses pour régler le tir des bâtiments. De très nombreux obus de tous calibres sont tombés.
On compte 10 civils tués, 40 All etc... De très forts dégâts. Donc pendant la nuit des pièces de tous calibres de terre et de mer tirent. Voyez le tam-tam que notre cœur vivait à ce moment là, je le garantis.
Rien dans l'après midi. Ah ! Si un ami qui était sorti en ville n'est pas rentré... Donc il a joué ripe.
21.00
Alerte, tirs de DCA, fusées éclairantes. Entendu moteurs d'avions, tout de suite aux fenêtres.
Oh! Vivement notre délivrance.

12 Octobre 1940 : "Ils" et "Il" pleurent

De très forts dégâts ont eu lieu à Cherbourg et Tourlaville. On compte beaucoup de morts et de blessés. Ce sont surtout des obus de 380 car plusieurs ont été trouvés non éclatés. Plus d'eau, plus de gaz et électricité dans la ville. Ce soir l'eau est revenue.
Des tracts auraient été lancés par les avions Ang, prévenant la population que chaque soir cela serait de même quand le temps le permettrait ; c'est à dire vent et bruine.
Nous sommes aux premières, nos gardiens descendent dans les caves. Nous non, d'ailleurs on ne doit pas !!
12.00
A table avec Macquart, Williams, Legras, Menet et moi, nous avons tous la larme à l'œil, et nous n'avons pas fini notre déjeuner. Un bon pépère All était à une table voisine, seul et il pleurait.
Nous lui avons demandé par geste qu'est-ce qu'il avait ? Il nous a fait voir les photos de sa femme et de ses enfants. Le pauvre avait le cafard. Ce n'était pas facile. On l'a invité à notre table, on lui a payé un coup.
Malgré tout notre cœur était serré. Pourquoi la guerre ?
Le peuple d'un côté comme de l'autre ne demande rien, la preuve ce pauvre soldat. La pitié est plus forte que nous. Nous l'avons bien plaint, car c'est un homme comme nous.
Ah !Guerre maudite, guerre de religion ! De politique et de finance qui ne profite qu'aux dirigeants. Et nous bonnes poires ???
20 marins Anglais d'une grosse vedette qui était venue avant hier ici et qui a coulé sont parmi nous. Nous allons savoir quelque chose. Choses vraies ?

13 Octobre 1940

Les prisonniers Anglais sont isolés, impossible de communiquer avec eux. Bien dommage.
Le bombardement de Cherbourg, on accuse 48 tués officiels et 60 blessés très gravement. Et on ne compte que les victimes civiles.
22.00
Alerte

14 Octobre 1940

On apprend que tous les hommes de couleur, c'est à dire soldats et marins d'ici, Algériens, Marocains, Sénégalais, Tonkinois, Martiniquais, Guadeloupéens doivent quitter le 18 pour aller du côté de Bordeaux, le climat est trop froid ici. C'est bien triste car nous allons perdre de bons amis, surtout Williams qui est un bon copain à nous. Nous le regretterons tous.
Mais nous aurons l'espoir de le revoir dans notre Paris, le jour tant attendu de la libération.
15.00
Alerte, tirs de grosses pièces et de DCA. Entendons très bien avions. La chasse All a pris l'air aussitôt. Que va nous réserver la nuit ?
On entend dire que 400 prisonniers de Saint Lô vont arriver ici ?
Temps beau.

15 Octobre 1940

RAS. Des chalutiers et petits torpilleurs All sortent ou rentrent de la rade. Beau temps.
15.00
3 avions probablement Ang font des évolutions à très haute altitude. Un fait un grand 8 avec de la fumée.

16 Octobre 1940

00.30
Tirs de grosses pièces côtières ? Pendant quelques minutes. Pluie.
De nouveaux prisonniers - otages - sont ici. Des très vieux et des gosses. Pourquoi sont-ils là ?
Eux-mêmes ne le savent pas.
Ce soir nous avons fait un gueuleton pour fêter notre Ami Williams. Voici le menu : escargots, dinde, pommes sautées, fromages, raisin, vin ordinaire, Saint Emilion et Rhum. Total, tous "lovés" et au lit à 02.00 du matin. Ah ! J'oubliais à 12.10 alerte, tir de DCA.
Je remonte sur le toit. Les pièces marine tirent à la pointe à l'horizon. On voyait des gerbes d'eau énormes. Les batteries tirent de Nacqueville-Haut.

17 Octobre 1940

La femme de Macquart arrive à Cherbourg.
Remis nos colis et lettres. On est de la joie. Il va falloir se débrouiller pour le faire découcher (toujours la combine), mais c'est très dur en ce moment.
Les bruits courent que les originaires de La Manche vont quitter le département pour une destination inconnue.
21.00
Un moteur d'avion rôder dans le coin. Nous allons sans doute entendre la DCA ou des bombes.

18 Octobre 1940

02.00
Alerte. Quelques tirs. Pluie et vent.
Tantôt je suis allé à terre chercher de la marchandise, mais je n'étais pas seul. J'avais une sentinelle All fusil à la bretelle qui m'accompagnait partout. Pas gai cela !

19 Octobre 1940

Menet a eu ce matin une désagréable surprise. Dans la nuit des vols ont été commis et lui a perdu ainsi 300 Fr. Les voleurs sont de rudes cochons ; prendre ainsi les quelques sous de leurs camarades prisonniers.
15.00
Alerte.

20 Octobre 1940

Macquart par combines est descendu à terre car sa femme est ici pour 15 jours.
Il parait que des tracts auraient été lancés par des avions Ang. qui préviennent les habitants de Cherbourg à préparer 3 jours de vivre avec boisson et que dès qu'ils verront les "forteresses volantes" arriver de se terrer et d'attendre leur arrivée.
Donc nous avons fait nos préparatifs et nous avons repéré un abri. Hélas il est à 100 mètres de nous et il nous faudra sauter par une fenêtre située à 3 mètres de hauteur.
On risquera sa chance, surtout que nous aurons de très grandes chances que pendant le trajet on nous tire dessus. Vivement cet instant ! Oh oui !!!

21 Octobre 1940 : Le voleur... et le sorcier Sénégalais

Beau temps. Rien à signaler.
Le soir, un camarade à Williams, un sorcier Sénégalais, qui a des lettres d'attestation de nombreux hommes politiques sur sa valeur, a bien voulu s'intéresser au vol de Menet. Donc le tantôt il a traversé les chambrées proche du vol et nous a donné rendez-vous à 9.00 dans la chambre de Menet.
19.00
Nous y sommes.
Là il demande que tous les hommes des deux chambres, plus celle d'à côté de venir se mettre en cercle autour de lui. Il prend une feuille de papier blanc plus un crayon rouge. Il y fait des signes cabalistiques et invoque le Démon.
Il dit le voleur a de 36 à 41 ans... je vais appeler son nom.
Il désigne un camarade en lui disant : "Le voleur tu le connais de vue, il couche dans ta chambre là".
Il demande que tout le monde lui présente la main gauche et a un certain moment il dit : "Le voleur le voici, car le Démon lui avait dit qu'il avait une cicatrice à la main gauche et au troisième doigt.
La dite personne n'a pas avoué mais d'autres vols étaient déjà commis et le Sénégalais a dit tout cela sans le connaître. C'est formidable. Nous verrons la suite.

22 Octobre 1940

Journée magnifique, soleil chaud, rien à signaler.
On n'entend pas un seul avion All. Que préparent-ils ?

23 Octobre 1940

J'avais besoin de descendre à terre. J'avais un factionnaire All avec moi qui ne m'a pas quitté d'une semelle.
En ville on parle du fameux Traité de Paix. On n'a pas de confirmation, mais si c'est vrai c'est honteux pour nous !
J'ai vu Madame Macquart.

24 Octobre 1940

Toujours aucune nouvelles sûre pour la Paix, mais nous avons de nouvelles sentinelles et je pense que si les forteresses volantes arrivent, il nous sera presque impossible de fuir, tout est gardé par des sentinelles armées, mitrailleuses braquées, enfin tout...
La vie au camp est triste car les Cherbourgeois ne vont plus en corvées pour ne pas avoir de communications avec l'extérieur. On verra bien.
15.00
Alerte, quelques rafales de mitrailleuses et canons.
Madame Legras est là pour quelques jours.

25 Octobre 1940

Raymond vient de sortir pour aller voir sa femme.
Macquart va sortir aussi.
Hier soir nous avons été faire un tour à notre compagnie.
21.10
Nous rentrions quand-il nous a été possible de passer les portes étant fermées partout. Mais à force de ruse, nous avons passé, mais on ne sortira plus le soir.

26 0ctobre 1940

Raymond m'a rapporté un colis de Paris.
Tout est triste là bas, surtout le ravitaillement. Espérons des jours meilleurs.
On parle de la signature de la Paix. Hélas si elle est conçue comme le disent les murmures, cela ne va pas être rose. Oh ! Que non.

27 Octobre 1940

Ah ! Voici encore un Dimanche, toujours des bruits, les "Anciens combattants" doivent être libérés Samedi ?
17.00
Alerte. Vu 2 bombes tomber sur le terrain d'aviation de Querqueville.

28 Octobre 1940

Sortir le tantôt pour voir Madame Legras, mais toujours escortés par une sentinelle armée d'un fusil chargé qui nous accompagne partout.
Remis colis pour Paris. Tout va à peu près, mais grand cafard. Pas de lettres depuis bien longtemps. C'est vrai que nous avons changé d'adresse. Que c'est long.
Macquart et Legras ont vu leurs femmes, mais nous avec Menet, rien. C'est dur, enfin il faut payer pour les autres et encore combien de temps ?
23.19
Alerte, tirs de DCA, projecteurs. Entendu moteurs d'avions, les projecteurs cherchent, mais nous ne savons rien.

29 Octobre 1940

Toute la journée les pièces de canons estimées 210 et 340 on tiré. Les carreaux vibrent (1 de cassé chez nous) les murs tremblent. On tire sur mer. Des All nous disent que 3 bateaux Ang circulent soit disant au large. Est-ce vrai ?
Menet et Legras ont perdu leurs places car il ne faut que des Cherbourgeois comme employé à l'intérieur de la caserne. On va tâcher de les faire revenir, mais pas facile. Dommage car des copains comme eux ils sont rares il faut le dire.
Depuis "Dixmude" quand on en voyait 1 les 3 autres n'étaient pas loin.

Ce qui confirmerait que les 5 de "Dixmude" ne seraient effectivement que 4 comme sur la photo coupée...

Dix All de nos gardiens retournent chez eux pour travailler.
L'Italie (les salauds) ont déclaré la guerre à la Grèce. La guerre va devenir mondiale. Les états centraux voulaient de l'espace vital, ils le prennent au profit des autres, donc justice chacun pour soi. Triste Monde.
On parle de démobiliser la marine ? Je suis pour et pour me RE-mobiliser aussitôt !
Mais ils pourraient avoir forte à faire avec nous. On verra bien qui rit le premier pleure après.
Les camarades qui vont en corvées commencent à l'avoir mauvaise vu le temps. Ah ! Que tout cela finisse vite.
Les murs d'enceinte de la caserne ont été fleuris de fils de fer barbelés, et même nos fenêtres donnant sur la mer. En cas de coup dur on pensait fuir par là, "bernique". On va essayer d'avoir des pinces coupantes à notre disposition, mais pas facile car on pense toujours à la fuite. Mais il faut un coup des Ang car sans eux partir c'est beau, mais aller où ? La France n'est plus France.
Les gars de 1940 valent ceux de 18, mais eux malheureusement n'ont plus de terre à eux pour tenter leur chance dans l'évasion. On ne dit rien, le cerveau travaille dur et naturellement en pure perte, puisqu'il n'y a rien à faire.
A notre table habituellement le manger était bon et copieux. Depuis quelques jours c'est rudement moche, mais toujours Marine... Ce matin bon filet de bifteck, c'est pour qui ? C'est pour nous au casse-croûte de 9.00. Revanche personnelle !

30 Octobre 1940

00.10
Alerte DCA et tirs pendant 15 mn. Aujourd'hui beau temps sec avec vent fort.
13.30
Alerte, bombes jetées, très bien entendu le sifflement avant explosion. Donc pas loin, bien vu les 2 avions Ang. Tirs défectueux de la DCA All.
Toujours des bruits de libération. Hélas on n'ose y croire.
Malgré tout nous faisons de la bonne propagande Française parmi nos gardiens, ils en ont mare.
Il faudrait peu de chose pour les décourager
15.00
Alerte et tirs. Les deux bombes de 13.30 sont tombées à 200 m de nous. Il doit y avoir des victimes puisque nous avons vu passer des ambulances. Pluie et vent.

31 Octobre 1940

Quelle tempête aujourd'hui, avec pluie et un ouragan. On plaint les navigateurs. 3ème départ des "Alsaciens" et "Lorains" qui partent escortés jusqu'en Alsace. Pour nous rien !
20.00
La tempête redouble, les carreaux et les fenêtres sont arrachés. Vent du N.O
22.00
Alerte tirs de DCA.

1 Novembre 1940

Temps superbe, Menet et Legras sont dans la 7ème Compagnie. Ils font des corvées à l'extérieur.
J'ai beaucoup de clients qui viennent de la caserne Rochambeau.
23.05
Alerte, tirs violents de DCA.
Drôle de Toussaint !

2 Novembre 1940

Pluie, vent, tempête. Rien de nouveau. Le courrier arrive très mal. Effectivement il doit passer par Saint Lô.
23.15
Alerte, bombes, tirs violents de DCA. Pluie et grand vent.

3 Novembre 1940

Triste Dimanche, toujours l'ouragan, c'est formidable la force du vent. Si cela continue il ne restera bientôt plus de fenêtres. Tout est arraché.
On ne peut même pas sortir dans la cour, et quand il faut faire queue au petit endroit, et bien ce n'est pas amusant.

4 Novembre 1940

Ce matin, pluie et vent.
10.00
Alerte.
J'ai vu Madame Macquart à terre (Elle part demain) car je suis sorti pour des achats, toujours escorté par un gardien. Cette fois je me suis bien débrouillé, il n'avait qu'une baïonnette et un revolver. Cela s'est bien passé.

5 Novembre 1940

Toujours la tempête. Nous n'avons plus de savon (si encore un peu). J'ai demandé au Ct All du camp et il doit me donner un bon de réquisition. L'aurais-je ?
11.00
Alerte.
Ce tantôt il y a des cours d'Allemand. Je n'ai pas pu y aller, j'irai demain. Rien à signaler.

6 Novembre 1940

Un ami interprète va venir chez moi donner des leçons, le soir après souper. On commence ce soir.
Toujours des faux bruits au sujet de la libération.
21.00 - 23.00 - 23.15
Alerte, tirs de DCA

7 Novembre 1940

Pas de lettre depuis 15 jours. Le temps commence à nous durer, car pas de lettres, pas de bon moral.
21.15 - 21.40 - 23.00
Alerte, tirs de DCA et nombreux projecteurs.

8 Novembre 1940

Temps de Printemps. Soleil, pluie et vent. Sortir à terre pour courses. Rien de nouveau, des prisonniers revenant de corvées à 30 klm d'ici, dans un champ d'aviation.
Ils ont vu des avions All évoluer au-dessus du terrain et partir... 10 mn plus tard, ils aperçoivent "1 zinc" qui faisait des évolutions, une feuille morte, un tonneau, quand arrivant à quelques mètres du sol, il laissa tomber 5 bombes. Résultat, 5 avions All détruits au sol et plusieurs tués et blessés ?!

9 Novembre 1940

Toujours pas de lettre de personne, c'est pas gai je le garantis.
Aujourd'hui, pluie et vent. Toujours beaucoup de bruits de toutes sortes.
18.00 à 20.00
les All écoutent un discours de chez eux.
21.00 - 22.00
Alerte, tirs de DCA

10 Novembre 1940

Encore un Dimanche. Comme distraction l'après midi, j'ai lavé mon linge. Temps de pluie avec vent.
21.00 - 21.30
Alerte des bombes tirent, tirs de DCA.
22.05
Alerte, tirs - bombes. Les éclats de la DCA tombent comme de la pluie.

11 Novembre 1940 : Drôle de Fête ?

01.10
Alerte, bombes et tirs de DCA.
Pluie et vent pas très chaud. Bruits de "Poncelet" sous-marin etc...

Première ligne du cahier



Le "Poncelet" Sous-Marin Mis en service en 1932. est engagé contre l'expédition des Français Libres en novembre 1940.
Le 7 novembre 1940, tentant aux ordres de Vichy de repousser ses compatriotes, le sous-marin est pourchassé par un aviso Anglais de blocus, le HMS Milford. Désemparé, il est sabordé au large de Port-Gentil. Son commandant, le Capitaine de Corvette Bertrand de Saussine, disparaît avec lui.

23.50
Alerte de DCA

12 Novembre 1940

Ouragan terrible, cela déracine les arbres, les carreaux des fenêtres sont brisés par la force du vent, les vasistas tombent.
Un vrai cyclone.
Nous apprenons toujours l'Allemand. C'est assez compliqué.
22.00
Alerte, bombes tirs de DCA.
22.30
Très grosse alerte, tirs de barrage, toutes les pièces tirent. On voit des balles traçantes.
C'est un travail qui voudrait semer la mort... Malgré tout c'est féerique !
Cela a duré plus de 10 minutes, pourtant le ciel est au ¾ couvert et le vent souffle ! Souffle !! Les projecteurs inondaient le ciel de leurs traits lumineux.
Notre cœur saute en pensant à ces braves gens (les aviateurs).
23.50
Alerte, tirs de DCA. Des bombes tombent en ville, beaucoup de dégâts de tués et de blessés civils.

13 Novembre 1940

01.30
Alerte, tirs de DCA.
05.00
Alerte, tirs DCA, bombes, les réservoirs à mazout sautent à proximité de nous. Les aviateurs Ang ont dû tirer à coup de mitrailleuses, car des balles sont venues s'écraser sur nos fenêtres.
Pluie, le vent a cessé un peu.
20.00
Jusqu'à minuit le canon tonne au loin.

14 Novembre 1940

De minuit jusqu'à 05.00 continuation des coups de canons.
Toute la nuit, les "zincs" ont survolé notre cour.
Toujours tempête.

Première ligne du cahier



Bataille d'Angleterre... .Le raid le plus violent frappe Coventry dans la nuit du 14 au 15 novembre.
La propagande allemande invente le néologisme "coventryser" pour exprimer une destruction totale.
Le palais de Buckingham n'échappe pas aux bombes, au grand soulagement de la famille royale, qui se félicite que la terreur soit équitablement partagée entre les citoyens nantis et les humbles.

15 Novembre 1940

On apprend que le bombardement de la nuit précédente a occasionné un 1000 tués ou blessés parmi les soldats Allemands du coté de "Jobour".
Sorti en ville avec Williams... "Lovés" le soir en rentrant, mais toujours escortés.
Toujours pluie et vent, la tempête se calme.

16 Novembre 1940

Toujours de faux bruits vue la démobilisation.
Pas de nouvelles de Paris depuis bien longtemps. Je crois réussir à envoyer des pommes de terre à Paris. Elles viennent de "Barfleur", je vais essayer avec du beurre. Je voudrais bien pouvoir réussir.
Le temps n'est pas très chaud et il pleut par intermittence.

17 Novembre 1940

05.00
Alerte, de grosses pièces tirent.
Pluie et vent, la tempête revient. Quel beau Dimanche ! Pour nous reçu lettre de Paris - 19 jours.
21.00
Alerte et tirs

18 Novembre 1940

Toute la nuit alerte. Je pense attaque par air et par mer. Entends très bien de nombreux piqués d'avions suivis de bombes. Tirs de très grosses pièces de marine. Entendu le sifflement des obus et très bien reconnu le bruit des obus qui tombent sur le sol.
06.00
Le plus fort malgré la pluie et la grêle, ça tirait de partout.
07.00 - 07.30 - 08.00
Alertes, et que je te tire, et que les bombes tombent... et nous, aucun abri.
Nous assistons à la féerie de nos fenêtres. Peut-être pas prudent, mais c'est plus fort que nous. On veut voir, on est heureux.
10.00
Le ciel est dégagé, que va-t-on avoir aujourd'hui ? On parle de nombreux tirs du côté de "La Hague"
21.00
Alerte

19 Novembre 1940

Temps relativement beau, gros nuages.
12.00
Alerte, très bien vu avion Ang.
12.30
Alerte, revu avion. Tir DCA formidable entendu bombes au sol. Le soir temps couvert.
19.00 à 24.00
Alertes toutes les 10 minutes. Bombardements de part et d'autre. Ca tirait de tous les côtés. 4 coups de fusil espacés ont été tirés sur les fenêtres des prisonniers, pour mauvais camouflage.
Plus d'avertissements, on tire directement, tant pis s'il y a un homme sur le passage de la balle.

20 Novembre 1940

06.00
Ouragan terrible, la pluie tombe en rafales, le vent donne en plein. Triste pays que le "Cotentin".
On parle du départ des Sénégalais… donc tout particulièrement notre Ami "Williams".
Alertes toute la nuit. Nous sommes montés sur les toits, cela crachait de partout.

21 Novembre 1940

Il y a une erreur de départ, ce n'est plus les "Noirs" qui sont partis, mais 100 hommes punis. Départ pour la "Pologne". Triste vie pour eux.
10.00
Tout homme pris à jouer aux cartes (on jouait fort de l'argent) serait puni de prison, et au-dessus de 5 jours, départ pour la "Pologne". Que nous réserve l'avenir ?
22.00
Alerte.

22 Novembre 1940

Pluie et vent. Je descends à terre. Bonne conduite
20.00 - 21.00 - 23.00
Alertes

23 Novembre 1940

01.00
Alerte. Le ciel est tout rouge sur "La Hague".
02.00 - 02.30 - 03.00 - 03.20 - 05.00 - 05.30
Alertes. Tout le ciel est embrasé. On dit que 6000 prisonniers de Saint Lô sont partis, direction l"Allemagne".
20.00 - 21.00 - 21.30 - 23.00
Alertes

24 Novembre 1940

Toujours aucune correspondance n'arrive. C'est pas drôle, le moral devient très bas, car sans lettre il n'y a personne.
Temps doux avec bruine. Encore un Dimanche ici. Ah ! Que c'est long, long.
J'ai eu par culot du savon donné par un Off. All pour mon lavage de peignoirs et serviettes. Depuis que nous sommes prisonniers, chaque homme a touché à sa compagnie 100 gr de savon pour 0,60 hier seulement. Heureusement que nous avions eu une combine, c'était du savon brûlé qui se trouvait à l'arsenal. Il y avait 50% de cendres ou bois calciné avec, mais contents de l'avoir.
21.00
Alerte. On entend quelques coups de canon, nous montons sur le toit. On entend plusieurs moteurs d'avions. Une fusée à deux feux blancs est lancée d'un "zinc" au large direction plein Nord. De nombreuses réverbérations de coups de canons et projecteurs, mais aucun son ?
23.00
Alerte. Que de coups de grosses pièces.

25 Novembre 1940

150 prisonniers de Saint Lô sont arrivés ici. Il parait que 6000 sont partis en "Allemagne". Pas gai pour eux.
18.30
Alertes.

26 Novembre 1940

Temps beau, rien à signaler.
19.00 - 20.00 - 20.30 - 21.00
Cela tape dur du côté de "Beaumont". Le ciel est rouge. Le canon tape au loin.
23.00
Alerte

27 Novembre 1940 : Proteau... tous partir pour l'Allemagne et la Pologne

Le bruit circule en ville que nous devons tous à "Proteau" partir pour l"Allemagne" et la "Pologne". D'autres disent que tous les prisonniers qui se sont rendus après l'Armistice seront sous très peu de temps libérés.
Que croire ? On craint toujours le pire.
Pas de courrier depuis un mois. Cela fait tomber drôlement le moral. C'est ça qu'ils appellent l'amélioration du sort des prisonniers et le rapprochement de l'Amitié Franco-Allemande. Ils en prennent le chemin Ah ! Oui.
20.00 - 21.00
Alerte

28 Novembre 1940

Le temps est au beau. Beaucoup de permissionnaires parmi nos gardiens. Leur moral intérieur n'est pas très fort. Ils en ont mare eux aussi.
16.00
Départ d'un fort contingent d'avions All direction N.N.O.
19.00 - 20.00
Alerte. Au loin tir DCA.
21.30
Alerte, bombes, tirs de DCA. Les avions prennent direction S.S.E.
22.00
Alerte

29 Novembre 1940

On apprend que 5 bâtiments All ont été coulés sur rade dont un à quai.
Temps sec et froid, mais ciel demi couvert.
Tout l'après midi, de nombreux avions circulent. Que font-ils ? Souvent la chasse passe au ras de nos casernes avec un bruit infernal.
16.00
Le vent se lève, les avions sillonnent toujours le ciel.
Toujours pas de courrier. Cela va faire du grabuge un de ces jours !
20.00 - 21.00
Alerte, tirs.
21.30
Tirs au loin, du côté de "la Hague"
22.10
Alerte, tirs intenses.
23.00
Alerte, quelques tirs 5 minutes.

30 Novembre 1940

Encore un mois de bien malade à partir de demain. Les permissions de ville sont supprimées, rapport à ce que trop de camarades font la malle (évasions).
Cela devient moche, temps froid avec brume.
14.00
Beaucoup de chasseurs All.
20.00 - 20.40 - 21.15 - 22.00
Alertes tirs de DCA.

1 Décembre 1940

Dimanche. Pas très gai, comme distraction j'ai lavé le parquet des 2 pièces où je suis. Triste journée assez froide. Essuie tirs toute l'après midi.
Toujours pas de courrier.

2 Décembre 1940

Très froid ce matin. Rien de nouveau. Touché paye de Marine, 60 Fr.
20.00 - 21.00 - 22.15
Alertes.

3 Décembre 1940

A terre cet après midi. Pas gai car escorté par une sentinelle. Bu un bon coup, mais pas de zig-zag en rentrant. Mais après bu grandement, cela noye le cafard, car des jours et des jours, on n'a toujours pas de lettre.
20.30
Alerte.

4 Décembre 1940

Toujours du vent, mais pas d'eau.
Touché paye de détaché, 12 Marks car on en laisse 1 pour les copains qui font les corvées intérieures.
On attend 70 gardiens nouveaux car les nôtres sont soit en perm ou alors regagnent leurs foyers.
Nuit sans alerte.

5 Décembre 1940

Pluie et vent mais pas froid.
Rien de nouveau, SI une lettre de l'Aveyron. La première depuis un mois. Mais attention elle est datée du 1 Novembre, donc fraîcheur.
Ce soir le vent tonne à la tempête. Ca souffle.
20.30
On entend le bruit d'un moteur de zinc. Les projecteurs cherchent mais pas de DCA.
Toujours de faux bruits. Tantôt c'est de la joie, après de la peine pour nous. On a beau dire, on ne croira que le vrai, mais c'est malgré nous, c'est ailleurs que ces bruits nous font vivre, car la caserne et prisonnier en supplément, n'ont rien de folichon.
On avait repéré un mousqueton avec 50 cartouches, on s'est dit c'est une "attrape", car on le planquera que quelques jours. Et bien, le lendemain tout avait disparu... Il faut se méfier ? Nous pas si bêtes.
Actuellement on met des piquets en fer entourés de fils barbelés au-dessus des murs pour éviter les évasions. On aura beau faire, ceux qui ont des intelligences avec des habitants proches (pour les "Parigots" rien hélas !) trouveront toujours le moyen de faire la malle !

6 Décembre 1940

Toujours tempête, pas froid. Je ne sais ce qui va se passer, mais on parle d'un départ prochain pour l"Allemagne".
Nuit orageuse, éclairs et tonnerre.

7 Décembre 1940

02.00
Coups de tonnerre formidable, de grands éclairs, grêle, pluie et grand vent 5.0.0.
Personne n'est sorti ce matin, aucune corvée extérieure. Les prisonniers détachés soit en ville, soit aux environs rallient le camp.
Aucun homme ne doit rester ou se promener dans les cours. Pourquoi ?
En ville un bruit coure qu'un grand nombre de nous doivent partir.
De nombreux gardiens au nombre de 140 sont arrivés ce tantôt.
Tout cela ne donne pas un bon présage. On verra bien ?
Le vent a un peu cessé de souffler. Pas froid.
20.30
Alerte, la DCA tire.
Un fait amusant.
Nous avons 140 hommes nouveaux comme gardiens au moment de l'alerte. Tous descendaient de leur carrée, pour trouver les descentes de caves. Ils avaient casques et masques.
Quelle pagaille. Ils étaient sidérés de nous voir Nous les prisonniers le nez en l'air, avec notre béret, en train de chercher à découvrir l'avion, quand eux n'avaient que le souci de se mettre à l'abri à la cave !

8 Décembre 1940

Dimanche triste, que se trame-t-il ici ? Est-ce le futur départ pour X ou alors ce n'est pas naturel.
Aujourd'hui l'équipage a eu un festin de Dimanche, c'est à dire un repas copieux : la soupe et un 1/4 de jus (appelé jus avec de la bonne volonté) et c'est tout.
Menet et Legras sont venus nous voir et ils ont mangé quand même.
21.00 - 22.00 - 23.30
Alerte.

9 Décembre 1940

01.00 - 02.30 - 04.00 - 05.00
Toute la nuit cela n'a été que tirs de DCA et bombes. Une vraie nuit de lutte entre avions et canons.
14.00
Le Commandant m'envoie à terre faire des courses.
Là j'ai été arrêté par plus de 200 femmes, mères, fiancées ou amies des prisonniers.
Il y en avait d'un peu partout de toute la Manche. Même de Caen. Toutes ces femmes étaient venues par le train, à bicyclettes et même à pieds après avoir parcouru plus de 23 klm. Une femme venait de plus loin que Barneville à pieds.
Car des bruits avaient circulé que de forts départs avaient eu lieu et que de sanglantes révoltes avaient eu lieu la veille entre prisonniers et gardiens.
Je les ai rassurées et j'avais le soir en rentrant une musette presque pleine de lettres pour tous ces camarades.
Quand on peut rendre service, on le fait. Quoi que pris à rentrer en fraude soit une lette, soit un colis, c'est 15 jours de cellule et l"Allemagne après.
Mais cela a été plus fort que moi après avoir lu toute cette détresse dans les yeux de ces femmes. Ah ! Triste vie !!!
J'ai réussi à passer. Une fois la porte franchie et la fouille opérée (tous les gardiens me connaissent et j'ai eu qu'a dire une bêtise ou deux et voilà comment on passe) alors là seulement j'ai commencé à respirer. J'en ai eu pour 1.30 pour faire ma distribution. Cela m'a fait un grand plaisir d'avoir rendu un léger service.
Chose incroyable, chaque All qui revient de permission est toujours passé me dire bonjour et m'a dit "France goût". Inutile d'être sorcier pour comprendre.
20.00
Alerte et DCA.

10 Décembre 1940

03.00 - 05.00
Orages terribles. Eclaires et roulement de tonnerre formidables, tout tremble et chutes de grêle très épaisse. Vent de S.O. Toute la journée vent terrible, mais la température n'est pas froide.
Soit disant que 4 évadés ont été repris et conduits directement là-bas. Belle vie pour eux.
En ce moment les compagnies se plaignent, presque rien à manger. Avant à la coopérative (plus de nom, mais réelle) on pouvait acheter du beurre, du fromage et du pain.
Maintenant, terminé grâce aux cartes alimentaires.

Ticket

Pas marrant pour certains.
Ce soir le vent souffle toujours autant. C'est pas permis de mettre des casernes ainsi en plein courant d'air. Le vent souffle de partout, on ne sent pas le moisi.

11 Décembre 1940

Vent terrible. Rien à signaler.
20.00
Vent N. Gros nuages.
Tirs de loin, est-ce sur mer ou sur terre ?
20.30
On dirait que les tirs se rapprochent.
21.00
Avions Ang en vue, tirs de DCA. Bombes jetées pas très loin.
22.00
Alerte et tirs.

12 Décembre 1940

On nous donne à nous les détachés des cartes pour circuler dans le camp à toute heure.
21.00
Avions, mais pas de DCA.
On apprend que plus de 600 All auraient été tués hier au soir par des bombes Ang au Val de Serres.

13 Décembre 1940

Temps très beau, pas de vent. Entendu quelques avions, sont-ils d'un bord ou de l'autre ?
On entoure les murs de fils de fer barbelés, donc on a espoir que quelques-uns de nous resteront ici, mystère ?
Des colis arrivent de la Croix Rouge. Ils sont distribués aux plus nécessiteux. Très bien car ici il y en a de pas heureux. Le courrier depuis que nous avons un Parlementaire M. Scapini, tout va bien… Nos lettres avant mettaient depuis Paris de 3 à 5 jours… maintenant il faut compter de 30 à 40 Progrès !
Si tout marche ainsi, et bien ! La Nouvelle France est belle.
Toujours la même chose et on recommence ! Qui vivra verra ?
Aucune alerte cette nuit.

14 Décembre 1940

Pluie et vent. Notre ami le Chef cuistot après uns discussion vient de nous quitter. Ce sont les autorités qui lui ont signalé son changement. Cela nous ennuie beaucoup.
Il doit encore se passer quelque chose, hier 12 évasions.
Aujourd'hui pas de corvées. On attend toujours s'il va y avoir un départ.

15 Décembre 1940

Dimanche, belle jounée point de vue température. Mais pour nous toujours pareil, pas de sortie. Aujourd'hui pas d'Anglais.

16 Décembre 1940

Ce matin, un bombardier léger Anglais a évolué sans risque pendant 10 à 12 minutes au-dessus de nous et sur l'arsenal (il était tout noir) moteur calé et sans se presser. Il a dû prendre pas mal de photos.
Il a fait le simulacre de vouloir atterrir à Querqueville, dont il a survolé le champ d'aviation à 100 mètres, quand d'un seul coup 2 bombes bien placées ont été lancées de l'avion qui sitôt a fait quelques galipettes et a foncé direction N à quelques mètres des flots. Les pièces de DCA se sont mises en action, mais bernique, l'avion est parti. Un bien joli tour. A quand le résultat des photos, ce soir ou dans quelques jours.
13.30
Je descends à terre avec 3 camarades et une sentinelle armée d'un fusil charge (que d'honneur !).
Je me débrouille avec la dite sentinelle et les 3 copains vont chez eux et moi bonne poire, je garde le bonhomme avec moi n'ayant personne ici.
05.00
Nous avions rendez-vous pour rentrer tous ensemble.
Quand 05.00 fut arrivé, 2 des copains étaient là, mais le 3 ème rien.
Après 01.00 d'attente, on se décide à rentrer l'oreille basse. En arrivant à l'aubette il manque 1 homme, mince histoire et là on apprend que le Commandant en ville a ramené mon gaillard ivre mort et qu'il était en tôle. Nous avons poussé un soupir car on avait bien cru qu'il avait fait la malle. Que va-t-il en résulter ?

17 Décembre 1940

On me dit que nous allons, les 3 autres, passer au rapport.
On s'en fait pas, on verra bien, il ne faut pas s'en faire Oh ! La la ?
J'ai oublié dans cette histoire de dire qu'hier au soir il y eu alertes à 19.00 et 21.00. Tirs de DCA.
Un Général All est venu visiter le camp.
20.00
Grand tralala, pas de rapport. Peut-être demain ?

18 Décembre 1940

Cette date ne figure pas dans le cahier

19 Décembre 1940

12.00
Alerte et tirs de DCA. Très bien entendu avion Ang.
Beau temps sec.
Ce soir, le copain maître d'hôtel de ces Messieurs nous invite à boire un coup dans la grande salle à manger. Nous étions 5 copains à boire quand un Officier All rentre à l'improviste. J'ai juste eu le temps de cacher mon verre et de me sauver.
Pour un coup de bambou, c'est réussi ?
17.00 - 21.00
Alertes.

20 Décembre 1940

Rien de trop nouveau. Il est affiché que tout homme ne doit avoir que 200 Fr et pas de bijoux sur lui. Cela va bien, la nourriture devient très mauvaise, une espèce de ratatouille à midi, bout de viande, patates et blé ; le soir à peu près pareil, chouette pour les petits estomacs.

21 Décembre 1940

07.30
Alerte et tirs de DCA. Nous avons un nouveau Cdt, pas le plus "bat". On ne peut rien faire rentrer de ville, car tout le monde est fouillé en sortant ou en rentrant au camp. Cela ne durera pas on le pense.
On se demande ce qu'attendent nos gouverneurs pour faire libérer les Vieilles Classes ? La rumeur commence à se faire sentir.
Attentions Messieurs de Vichy !
Toute la nuit, alertes et tirs de DCA.

22 Décembre 1940

Dimanche, gelée, temps sec, vent S.E
08.00 - 09.00
Alertes. Temps assez beau.
21.00 - 22.00 - 22.30 - 23.00 - 23.50
50 Alertes et tirs de DCA.
Quand je dis "alerte" ici, les sirènes ne sifflent pas, c'est seulement que les coups de canons qui nous les indiquent.

23 Décembre 1940

15.00
Je vais à terre escorté. Le factionnaire me suit partout.
20.00 - 21.00
Alertes.

24 Décembre 1940 : Le Réveillon de Noêl

Triste moment à passer, mais nous avons espoir de réveillonner. Effectivement,
20.00
Nous montons chez des copains, moi et Macquart.

Première ligne du cahier

Voici le menu :
soupe, huîtres, saucisson beurre, poulet, frites, fromage, dates, figues et bûche de Noël faite par un pâtissier parisien, vin blanc et rouge ordinaire et fin, café, 3 sortes d'alcools et liqueurs et j'ai oublié l'apéritif.
Tout s'est passé à merveille, pas couché de la nuit. Nous avions 2 Anglais avec nous, Ils étaient heureux.
Toutes a été rentrées à leur barbe. C'est de l'arnaque.
Ah ! Une petite histoire : La chambre du gueuleton est dans les bâtiments où on coupe le courant à 20.00. On avait branché sur les fils qui passent en dehors, le long du mur. C'était de l'acrobatie.

05.00
Le matin, on a mangé les huîtres, bu le jus et voici le réveillon de passé.
00.00
Ah ! Un fait, on a chanté "Minuit Chrétien", un des Anglais (aviateur) s'est mis à sangloter pensant aux siens.
C'est bizarre, et bien tout le monde, les 17 on a chialé, car c'était dur de passer un Noël ainsi.

25 Décembre 1940

J'ai travaillé de 08.00 à 13.00 et j'ai dormi de 14.00 à 19.00 car on devait RE-réveillonner le soir avec tous les Français du bâtiment All.
Même menu, sauf dinde au lieu de poulet.
Couché à 03.30. Très bien passé, pas d'alerte.

26 Décembre 1940

12.00
On a très bien mangé.
Huîtres (les All n'aiment pas ça, alors on s'est sacrifiés pour eux) et 1 lapin pour 4.
16.00
2 gros camions arrivent avec des capotes de biffin pour nous. C'est par la Croix Rouge.
Temps pas très froid, vent d'O, brume, on entend la corne de brume.
17.00
J'écris, des avions passent très haut. Sont-ils All ou Ang.
Dans quelques minutes nous le saurons.
18.00 - 21.00
Alerte, tirs de DCA

27 Décembre 1940

Actuellement la cuisine est infecte. On nous fait une ratatouille appelée "goulache"...
C'est du blé, des patates et quelques morceaux de viande coupée en dés. C'est moche à manger et c'est tout pour midi.
Le soir patates cuites avec un hareng salé, genre salade, mais sans huile ni vinaigre. En un mot de la saleté.
18.30
Et toute la nuit, alertes.
Tirs toutes les 10 minutes jusqu'à 07.30 du matin, superbe nuit.

28 Décembre 1940

Marocains et Algériens on fêté la "fête du mouton".
Mais nous à midi et le soir goulache. Chouette on mange bien, on va prendre des dispositions à partir de demain. Nous avons de la graisse, on aura des patates alors à nous les frites.
19.00 - 20.00 - 21.00
Tirs de DCA. 5 fusées lumineuses sont lancées par les Ang, couleur jaune or. De nombreuses bombes tombent. Tirs intenses, de gros morceaux d'obus DCA tombent sur nous.
23.00
Alerte, bombes et tirs.

29 Décembre 1940

02.00 - 03.10
Alerte, tirs de DCA.
10.00
On nous apprend que les bombes on détruit 2 mouilleurs de mines à côté de la gare maritime et qu'ils sont coulés. 2 de moins ! Des bombes sont tombées place Napoléon sur le casino et à Tourlaville.
Dimanche aujourd'hui. Travaillé jusqu'à 10.00. En suite lessive. Charmant pour un jour de repos.
18.00
Fait une partie de cartes avec mon ami Williams, Macquart étant par combine avec sa femme à terre. Je ne sors pas cela ne m'intéresse pas.
19.15
Je fais une poule au pot, mange saucisson du jura avec du beurre et du fromage beurre. Des copains m'ont apporté un litre de vin. J'en fais la moitié en vin chaud pour tout à l'heure.
19.40 - 20.10
Alerte tirs.
20.45 - 21.00 - 21.15 - 22.00
Tirs intenses et bombes

30 Décembre 1940

Aujourd'hui, pluie, temps relativement doux.
Des prisonniers ont voulu se sauver, on a tiré dessus. On ne sait pas le résultat.
Rien à signaler.

31 Décembre 1940

Voici l'année terminée qui ma foi n'était pas fameuse.
Espérons que tout ira mieux en 1941. Verra-t-on la libération ??
Pluie depuis hier.
22.30
Au lit.
Macquart, Menet et Legras ont fait la bombe jusqu'au matin.
Moi j'avais le cafard. Je voulais être seul.
00.00
Les Allemands pour fêter leur jour de l'An ont tiré des centaines de coups de fusils, des coups de mitrailleuses.
Des fusées. Bref un tam-tam du diable.

1 Janvier 1941

08.00
J'ai repris le travail. J'étais dispos, mais les copains pas beaux à voir.
Pluie et vent.
Le tantôt j'avais une bonne bouteille de Noyaux de Poissy, alors nous l'avons liquidée avec les "poteaux".
Le soir on s'est couchés à minuit, bu vin blanc, rhum et vin chaud.

2 Janvier 1941

Gelée et grand vent. Temps sec.
12.00
Neige, très peu, mais que de vent. C'est terrible.
En ville cet après midi bu un bon coup.
20.00
Alerte. Tirs.

3 Janvier 1941

Neige et vent, pas chaud.
20.00 - 23.00
Alertes malgré la température. Tirs de DCA. Les All revenant de permission nous disent "neige partout", 30 à 40 cm.
Ici à Cherbourg les habitants commencent à faire la guerre pour le ravitaillement. J'ai idée que cela va barder un de ces jours.

J.F Hamel dit dans son livre "Croix gammées sur le Cotentin" :
Ce qu'a écrit Henri Amouroux à propos des paysans dans son livre "La vie des Français sous l'occupation" s'applique assurément à notre Région... "Il y aurait une passionnante étude à faire sur l'augmentation générale du niveau de vie des Paysans Français pendant la période 1940 - 1950..."

4 Janvier 1941

daté 4 Décembre dans le texte
Neige, vent moins fort. Les corvées reprennent. Les pauvres gars n'ont pas chaud. Triste existence pour tous ?
23.00
Alerte

5 Janvier 1941

daté 5 Décembre dans le texte
Dimanche. Dégèle, pluie et pas beaucoup de vent.
12.00
J'ai eu un coup dur. J'étais allé à la cambuse demander aux copains un peu de beurre, quand étant servi, les commis All me demandent ce que j'ai dans ma musette. J'ai eu beau feinter, il a regardé dedans. De suite il a voulu m'emmener au Cdt All. J'ai parlementé avec lui dans le couloir et je crois que l'incident est alors clos.
Mais j'ai eu chaud. Mais que voulez-vous il faut se défendre en tout ici, c'est le peureux qui crève de faim et de froid.
C'est ainsi la vie des prisonniers Français en France de 1940 - 1941.
Ah ! Vivement la Libération, car alors nous serons obligés de nous libérer nous même.
15.00
Je suis toujours au travail, aussi le crâne travaille dur, toujours voir une cour, 2 arbres et un grand bâtiment devant moi. Heureusement que je sors quelques heures par semaine, sans cela je deviendrais fou.
Ah ! La Liberté !

6 Janvier 1941

daté 6 Décembre dans le texte.
J'ai trouvé le Cdt pour aller à terre. L'affaire du beurre n'est pas finie. J'ai expliqué le cas. Ca va. Quant-à 14.00 - Au moment de descendre à terre, le Commissaire All m'a fait un "pastiche" à tout casser. Le Cdt est venu et m'a soutenu. Je verrais la suite.
Retour de terre très calme, presque à jeun.
20.00
Neige

7 Janvier 1941

daté 7 Décembre dans le texte.
Tout est couvert de neige, temps froid.
J'ai vu le Cdt, il m'a dit "c'est classé". Malgré tout je m'attends à tout.
Ce soir les mouettes et les étourneaux viennent dans la cour pour pouvoir manger. Un copain a tendu des pièges et il a pris 2 étourneaux, mais l'ordre lui est venu de terminer, donc plus de braconnage. Interdit.

8 Janvier 1941

daté 8 Décembre dans le texte
Dégel petit à petit. Rien de nouveau à signaler.
18.00
Plus de neige.
21.00
Alerte, tirs de DCA.

9 Janvier 1941

daté 9 Décembre dans le texte
Plus de nouvelles de mon affaire.
Il pleut, rien de neuf.
20.00 - 20.30 - 21.00
Alertes et tirs.

10 Janvier 1941

daté 10 Décembre dans le texte
Vent froid. La nourriture est de plus en plus mauvaise. Le soir on se fait des frites chez-moi. (Je suis cuistot). On resquille de la viande et on fait des biftecks.
20.00 - 21.00 - 22.10 - 23.00 - 23.50
Tirs de DCA

11 Janvier 1941

daté 11 Décembre dans le texte
On apprend qu'un prisonnier c'est fait la paire. Il a eu un truc épatant pour sortir de la caserne, il a simplement fait une chose formidable, il s'est caché dans la malle arrière de la voiture du Cdt et il est sorti ainsi. C'est ingénieux et formidable.
16.00
Alerte, tirs de DCA.
On apprend ce soir que les perms de nos gardiens sont supprimées (cela doit prouver que ça va mal chez eux).
Ce soir fort vent. Temps assez doux.
Les copains en ont tous marre de la captivité. C'est réellement trop long.
Ah ! Si nos copains d'en face pouvaient venir, c'est avec joie qu'ils seraient reçus et ils auraient des renforts. On attend avec courage...
Nous avons touché des vêtements d'hiver. Pour mon compte j'ai eu : 1 tricot, une vareuse, 1 capote et un pantalon de biffin (le fameux golf de l'armée. On dirait un clown mais cela tient chaud) 1 paire de chaussettes. Ah ! Aussi des brodequins dont 1 est ressemelé au talon avec deux rangées de gros clous ; l'autre, tout neuf avec talon en caoutchouc. Je boite en marchant avec.
Tous les copains de la cuisine All ont été changés, les cuistots partis, les garçons de salle à la plonge, bref un remue-ménage. Formidable on verra la suite.
20.00 - 21.00 - 22.15 - 23.00
Tirs

12 Janvier 1941

daté 12 Décembre dans le texte
Dimanche. Temps très doux, mais forte brise. Beaucoup de travail. J'ai pris l'air pendant 0.30 mn sur le toit avec Macquart. On a regardé la rade et le large ; Juste 3 petites barques qui pêchent sur rade. Rien en vue. Les bruits courent que les All ont miné les quais de l'arsenal, le Nardouët (dépôt de munitions) et la route de Beaumont. Beaucoup de pièces à longue portée disparaissent. Des trains entiers de matériel, de vivres et d'habillement partent chaque jour. Il ne nous restera plus rien.
18.50 - 19.10 - 20.00 - 20.40 - 20.55 - 21.00 - 21.15 - 22.00 - 23.15
Alertes et tirs. Ils tirent au hasard car on voit les trajectoires des balles traçantes qui partent en parapluie. Les obus éclatent aux quatre coins du ciel. Les moteurs des avions Ang ronflent bien. On entend leurs piqués.
Nous sommes tous aux fenêtres, c'est notre cinéma, notre seule distraction de joie.

13 Janvier 1941

daté 13 Décembre dans le texte
Beau temps. Pas de brise, rien.
J'ai voulu aller à terre, hélas un autre coiffeur était parti la veille, aussi les perms sont supprimées. Me voici coincé.
20.00 - 20.40
Alertes

14 Janvier 1941 : Terrible dilemme "S'évader ou rester"

daté 14 Décembre dans le texte L'écriture devient très perturbée
Ecriture du premier jour. Ecriture du dernier jour :

Ecriture perturbée

Aujourd'hui tristes nouvelles.
Par des combines on sait que le 20 courant la moitié du camp part pour l'Allemagne, pour Brisbourg en Rhénanie sur le Rhin. Pays des mines.

C'est pas drôle car on ne sait pas qui part et qui reste.
C'est bien le malheur, aussi notre ami Macquart a décidé de prendre la malle. Pour lui c'est assez facile puisqu'il a sa femme ici. S'évader ou rester ?!

Moi je réfléchis bien, mais je crains des représailles sur "ma mère". C'est une triste vie.

Sentiment très personnel C'est vrai.
Il en parle déjà le 4 juillet...et je sais qu'il a voué sa vie à sa mère, d'ailleurs alors qu'il est prisonnier, c'est lui qui à plusieurs reprises envoie des colis....

On dit aussi que les Noirs seront expédiés en Italie. Notre cher compagnon Williams est dans les transes.
Il est Guadeloupéen, il est considéré comme noir.
Beaucoup de camarades pensent qu'a une seule chose, l'évasion. Moi j'y pense, mais aller où, faire quoi puisque la Sûreté Nationale nous recherche.

15 Janvier 1941

daté 15 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
Toujours des bruits, c'est à devenir fou. Encore 3 qui sont partis, pas possible de sortir en ville.
Toujours des bruits. Toujours.

16 Janvier 1941

daté 16 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
Froid sec. Il a gelé.
Aujourd'hui 3 copains sont partis.
19.00 - 20.00
Alertes

17 Janvier 1941

daté 17 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
Quelle journée aujourd'hui.
12.00
Macquart vient déjeuner et nous dit au revoir "comme d'habitude" et à...
13.30
Il prend sa voiture avec Jean et ils mettent la malle. Pas signalés avant le lendemain.

18 Janvier 1941

daté 18 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
Je suis anéanti. Mes 3 meilleurs copains ont mis les voiles et moi je reste comme un pauvre imbécile.
Mais vu ma situation ici, il m'est presque impossible de disparaître sans être immédiatement repéré.
Et quelque chose me dit... reste... ou alors partir en règle ?

19 Janvier 1941

daté 19 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
Le départ se confirme, pour une fois les échos étaient vrais.
Le soir on doit aller, tous les détachés, coucher dans nos compagnies respectives. Beau chahut.
Mais moi j'avais le cœur bien serré, non de partir, mais de penser à mes copains...
La piaule me semblait vide de ne pas entendre Jean et Raymond.
Nos amis Anglais ont fait un vacarme de tous les diables. Bref.

20 Janvier 1941

daté 20 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
01.30
du matin, les 20 personnes n'étaient pas couchées. On attendait la liste.
02.00
Nous le savions, soulagement pour ceux qui restent et pour les pauvres autres, ils avaient beau braver, la peine se lisait dans leurs yeux. Drôle de nuit. Moi je ne pars pas encore.
09.00
Appel général dans les deux cours. Cour centrale pour ceux qui partent, avec tout leur barda. Il pleut à torrent. Nous nous disons au revoir et chacun va dans la cour qui lui est signalée. Défense de monter dans les chambres. Nous devons rester sous la pluie jusqu'à 14.00.
Les partants passaient à la fouille qui ma foi était un peu crue, car ces Messieurs leur faisaient mettre leurs sacs et effets à terre, parmi les flaques d'eau et de boue.
Ils ont un peu cassé la croûte et ils sont partis en paquets de 40, soit en wagon, donc 1500 camarades ont ainsi pris le train pour Duisbourg. Triste départ.
14.00
Tout revenait comme la veille. On reste 600 blancs et 800 ou 900 indigènes. Les Anglais sont partis aussi. On les regrette bien car c'était de très excellents camarades.
Pour moi impossible de dormir.
Ah ! J'oubliais hier à 16.00 - 3 bombes ont dû tomber du côté de la gare.

21 Janvier 1941

daté 21 seulement dans le texte L'écriture est toujours très perturbée
Temps de pluie.
Je vais à la visite, je veux tenter toute ma chance, minime, mais tant pis.
On apprend ce soir par "radio… "poulaine"
que G. serait repris. Et c'est de braves agents civils qui l'ont cueilli. Il reviendrait ici Vendredi.
Si c'est vrai, ces Messieurs de France sont de belles vaches... Entre Français. On va attendre dans la crainte que cela soit vrai. Nos vœux pourtant à Nous c'est de voir nos copains Libres, même au prix de beaucoup de choses.


Epilogne :

il reste 15 lignes blanches dans le cahier. Elles le resteront...

Qu'est-il advenu du dernier des 5 Matelots de Dixmude ?...

Première ligne du cahier


Je ne le sais pas, mais nous savons que les derniers prisonniers de Cherbourg - dont lui - partent pour l'Allemagne en janvier et février 1941... Où ils seront internés dans des camps.

Le cahier s'est refermé... Il a dormi dans un placard pendant 64 ans...


Le dernier des 5 matelots de "Dixmude" ne m'en a jamais parlé !
Pourtant "Dominique"...
l'Auteur de ce texte est :

George Blondeaux...

Première ligne du cahier

Ses amis l'appelaient "Jo"...
Moi puis Toi lorsque tu es né en 1964... "Papy"…
Il est Né le 4 Juillet 1899 - Décédé le 28 Août 1974

Le 5 Mars 1946...
"Il" a épousé ta grand-mère alors que j'avais 5 ans, et
"Il" nous a donné son Nom.


Merci de "l"avoir lu.
Roland Blondeaux
Pour me contacter cliquez ici !